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Quelles seraient les causes de cette grande démission : un effet d'attrition (usure motivationnelle des salariés) se cumule à des réalités macroéconomiques et conjoncturelles, déséquilibrant un rapport entre employeurs et employés.
La question n'est en fait pas de savoir si ce phénomène va toucher la France mais quand et dans quelle proportion …
38 millions d'américains ont quitté leur emploi en 2021, ce chiffre, très spécifique à ce continent, à sa culture et au rapport au travail de sa population, ne peut être simplement transposable sur d'autres modèles mais alarme néanmoins par son ampleur et sa soudaineté.
Selon les dernières études de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le nombre de démissions en CDI a augmenté en France, en 2021, de 10,4 % en juin et de 19,4 % en juillet par rapport à la même période en 2019. Ces chiffres correspondent à 302 000 départs en deux mois contre 263 000 en 2019. Dans le même temps, les ruptures conventionnelles ont également augmenté en juin 2021 pour dépasser les niveaux observés avant la crise sanitaire.
Rapport de la DARES du 3 novembre 2021
De plus, ce rapport précise que les ruptures anticipées de CDD ont atteint, en juin 2021 un chiffre de 25,8 % supérieur à ceux observés deux ans auparavant.
Deux situations s'additionnent sur le marché du travail français au regard des rapports de la Dares.
On assiste en premier lieu à une inadéquation de l’offre et de la demande dans le secteur des métiers qualifiés. Malgré une offre d’emploi forte, ces emplois ne trouvent pas preneurs entrainant un dérèglement du rapport entre offre et demande.
En second lieu, le secteur des métiers moins qualifiés souffre d'un manque d'attractivité chronique dû aux conditions d'emploi et aux salaires.
Tous ces éléments cumulés font craindre à plusieurs analystes une augmentation d'un mal français : la difficulté de recrutement. La Banque de France, fin 2021, statuait sur un chiffre de 300 000 emplois non pourvus dans les secteurs tertiaires et secondaires.
De surcroit, les dernières analyses montrent que ces démissions et ruptures conventionnelles ne touchent pas seulement les salariés non-cadres mais commencent à se propager vers les cadres et les métiers hautement qualifiés.
L'actualité récente a mis en avant un cas d'école, rapporté par France Inter, qui, loin d'être représentatif à lui seul d'une réalité plus générale, symbolise une situation. Le Groupe Capgemini vient d'annoncer d'excellents résultats financiers (Chiffre d'affaires, marge, résultats) et demeure un des leaders de son domaine. Toutefois, l’entreprise subit une situation boursière mouvementée, la raison : le groupe a perdu, en une année 23,5 % de ses effectifs !
Les raisons de l'augmentation de ce taux de démission sont multiples et trouvent leurs origines dans des réalités sociales, économiques et conjoncturelles. Tous ces éléments se superposent pour apporter des éclairages sur cette situation.
Certains de ces éléments sont transposables en France, d'autres plus difficilement…
En premier lieu, la conjoncture économique agit mécaniquement sur le taux de démission. Christophe Blot, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) nous rappelle que cette manifestation obéit à une "variable cyclique, qui évolue en fonction du taux de chômage". En effet, ce mécanisme est facilement compréhensible : en période de fort chômage, les salariés ont tendance à se protéger et à garder leur emploi à tout prix alors qu'en période plus dynamique du marché du travail, la prise de risque des salariés est plus forte car la perspective de retrouver un emploi est plus importante. Sous cet angle, la situation américaine semble conforter cette hypothèse : le taux de chômage bas outre atlantique augmenterait mathématiquement le taux de démission. Si l'on transpose cette donnée à la France, les chiffres actuels et les projections encourageantes de baisse du chômage pourraient donc avoir un effet pervers sur les chiffres de démissions !
En second lieu, la crise sanitaire a manifestement joué un rôle central dans ce scénario. En effet, la situation extrêmement délicate qu'a traversé toute la planète a eu pour effet de figer, en quelque sorte, le marché du travail dans un état d'attentisme bien compréhensible. Les salariés, face à l'incertitude et à la crainte ont en grande partie "mis en veille" leurs projets durant toute la période de pandémie. Désormais, la situation semblant s'éclaircir avec l'apparition des vaccins notamment, l'attentisme n'est plus de rigueur et les désirs longtemps contrariés se libèrent dans un temps très court.
Un facteur propre au marché du travail américain enfin : aux États-Unis, le mouvement est parti du secteur des services et s'est viralisé peu à peu vers d'autres secteurs. Mais, les mécanismes conjoncturels n'agissent pas à la même vitesse ni avec la même ampleur en France et aux États-Unis. Ainsi, Héloïse Petit, économiste, professeure au CNAM et chercheuse au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches en Sciences de l’Action (LIRSA) et au Centre d’Études de l’Emploi et du Travail (CEET), nous rappelle que " les mouvements cycliques du marché du travail sont moins marqués en France qu’aux États-Unis. Face aux crises, le marché du travail américain connaît des fluctuations plus intenses d’augmentation et de recul du chômage."
De surcroit, les mécanismes légaux et administratifs encadrant les démissions et les changements de poste sont loin d'être aussi simples et rapides qu'outre atlantique. Cette simple raison pratique ne permet pas de calquer les effets et leurs conséquences aisément. L'OFCE elle-même avoue son incapacité à prédire l'ampleur que ces démissions vont prendre sur notre continent. Mais, il est une certitude : aucune solution miracle n'est envisageable sans une réelle prise de conscience des entreprises de ce phénomène et une politique interne dédiée pour en circonscrire les effets.