Donner du sens au travail en mobilisant nos émotions

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Donner du sens au travail en mobilisant nos émotions

21 juin 2023

A-t-on trouvé l’algorithme du sens au travail ? Et si cet algorithme était niché au fond de chacun de nous ! Si notre corps était le révélateur du sens au travail …

Où se cache le sens de la vie ?

Le mot d’ordre, c’est le sens : Redonner du sens au travail, Trouver un sens à sa vie, avoir un métier qui fait sens.

Or, si on identifie aisément les activités dénuées de sens, il est souvent plus difficile de décrire avec précision celles qui en ont. De fait, quand une activité a du sens, cela s’impose à nous. Elle n’est pas le résultat d’un algorithme savant qui associerait des valeurs, l’équilibre privé-professionnel, l’employabilité, etc.  

Car un travail qui fait sens est une évidence. Il surgit dans notre vie quand dans notre for intérieur, nous avons le sentiment d’être nous-même, à notre place et de remplir un rôle. Un sentiment diffus mais bien présent, entre plénitude existentielle et incarnation professionnelle.

Ce n’est donc pas un calcul rationnel mais une alchimie neuro-sociale.

L’approche neurologique : quand nos organes donnent du sens

Neuronal car, comme le décrit le célèbre neurologue Antonio Damasio[i], le sentiment d’être soi naît d’abord au fond de notre organisme ; quand nos organes nous informent qu’ils concourent tous au bon équilibre vital : l’homéostasie. Le système nerveux intéroceptif, qui rend compte de l’activité de nos viscères, fait naître les premiers sentiments de bien-être ou de douleurs plus ou moins localisées. Toute cette activité est interne.

Puis, notre système nerveux sensoriel construit des représentations de ce qu’il perçoit à l’extérieur, que ce soit une image ou une situation. Ces représentations déclenchent des réactions internes. Une situation stressante et incertaine accélère le rythme cardiaque, contracte nos muscles et entraine un surcroît de vigilance. Elle est donc présumée stressante parce qu’elle déclenche ces réactions physiologiques.

Associées à des situations professionnelles, ces émotions se complexifient et deviennent des humeurs. Le sens qu’on donne à notre activité professionnelle dépend alors intimement de ces humeurs : la lassitude ou l’enthousiasme.

Un corps désinvesti

Notre corps, et plus précisément nos organes, sont les informateurs les plus fiables de ce qui a du sens et ce qui en a moins. Pour ce faire, il doit évidemment être mobilisé, investi, incarné. Et c’est là où le bât blesse !

L’anthropologue David Le Breton constatait déjà en 1990[ii] que « l’engagement physique de l’homme dans son existence n’a cessé de décliner ». Et de poursuivre : « Les activités du corps, celles par lesquelles le sujet construit la vivacité de sa relation au monde, tendent à s’atrophier. »

La multiplication des prothèses digitales empêche aujourd’hui le corps d’intérioriser pleinement l’activité professionnelle dans sa chair.

Un vécu professionnel est constitué d’interactions sociales et sensorielles : un regard, une poignée de main, une attitude. Ces manifestations corporelles enrichissent notre expérience et permettent d’y associer des émotions plus riches.

Malheureusement, la participation active du corps à la vie professionnelle diminue de jour en jour. Ainsi, même les travaux physiques, dans lesquels le corps est pleinement sollicité ont leur prolongement digital : la caméra qui surveille les chauffeurs routiers ou un écran qui indique à des employés de centres d’appel s’ils parlent trop vite ou si leur voix recouvre celle du client[iii]. Les voitures sont aujourd’hui bardées de détecteurs en tout genre, de sorte que l’attention du conducteur est focalisée sur les « bips » des radars plus que sur l’environnement général. Un vélo qui s’approche est un danger, pas une interaction sensorielle.

Tous ces ajouts réduisent l’implication du corps et, en diminuent le rôle dans le choix des conduites à adopter. On éloigne même le corps du poste de travail : au baby-foot ou dans de fausses attitudes de bien-être.

Progressivement donc, l’emprise du corps disparaît de la sphère professionnelle, les émotions associées s’appauvrissent pour laisser place à une sensation de vide qui exprime l’absence de sens.

A l’enthousiasme ou à la révolte que peut susciter une situation professionnelle, s’installe l’idée d’une compliance fonctionnelle avec des outils et des données.

Il faut des émotions pour révéler des valeurs

Ainsi, ce n’est pas l’absence de valeurs ou d’objectifs vertueux qui fait disparaître le sens du travail, mais la difficulté à y associer des émotions riches et des humeurs, par manque de représentations incarnées. A l’origine de la perte de sens, se trouve en fait la pauvreté des représentations mentales du travail.

Retrouver le sens du travail consiste donc avant tout à redécouvrir une large palette d’émotions, même négatives ; en les associant à de nouvelles représentations. 

Pour ce faire, il faut susciter des implications spontanées du corps et utiliser des mots qui résonnent en nous, ceux qui racontent une histoire et font re-naître des émotions.


[i] Le sentiment même de soi, Odile Jacob 2002 ; Sentir et Savoir, Odile Jacob 2021

[ii] Anthropologie du corps et modernité, Puf 1990

[iii] Exemples tirés de l’article « Souriez, vous êtes fliqués », Books n° 123, janvier-février 2023