Simplon : le défi de la formation des exclus du numérique

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Simplon : le défi de la formation des exclus du numérique

23 juin 2020

Depuis 2013, Simplon.co propose des formations gratuites et certifiantes aux métiers techniques du numérique à différents publics en difficulté : jeunes peu ou pas diplômés, demandeurs d'emploi de longue durée, allocataires du RSA, réfugiés, mais aussi aux personnes en situation de handicap et aux femmes insuffisamment représentés dans les métiers du numérique. Dans cette interview Frédéric Bardeau, président et co-fondateur de Simplon.co, revient sur les enjeux de la lutte contre l’exclusion numérique, les freins rencontrés et les atouts de la diversité.

Le confinement a révélé à l’ensemble des Français l’exclusion numérique d’une partie de la population. Les invisibles sont devenus visibles ?

Frédéric Bardeau. Le sujet est apparu au grand jour mais les invisibles portent bien leurs noms : ils restent un ensemble que l’on a du mal à quantifier et à toucher. L’impossibilité en France d’établir des statistiques précises sur des catégories de population a ses limites : elle ne permet pas de voir la réalité en face ni l’étendu de la fracture numérique. En temps normal, c’est à dire hors Covid-19, 15 millions de français sont dits en difficulté, dans leur quotidien, avec le numérique. En période de confinement, je ne serais pas étonné que ce chiffre ait été multiplié par deux. 

Pour des raisons d’équipement ?

F.B. Oui il y a des foyers déconnectés ou mal-connectés. Les ordinateurs et autres tablettes coûtent chers. Certains n’en ont pas et il est compliqué, pour une famille, de ne posséder qu’un écran pour l’ensemble du foyer. A Simplon, nous avons ainsi perdu en mars et avril près de 12% de nos apprenants. Mais au-delà de l’équipement, le problème vient aussi de l’illectronisme, c’est à dire de l’absence des compétences nécessaires pour faire usage du numérique, envoyer un mail, installer un logiciel, remplir un formulaire…. 

Comment changer la donne ?

F.B. De multiples initiatives existent à commencer par celle de Simplon mais elles sont loin de combler l’ensemble des besoins. En 2018, l’état et les collectivités locales ont pris conscience de l’impact de la dématérialisation des services publics : elle permet, certes, de faire des économies, mais elle laisse aussi tout une partie de la population sur le bord du chemin. D’où la création d’une stratégie nationale pour l’inclusion numérique. On assiste aujourd’hui au déploiement du pass numérique. Sur le modèle du chèque-déjeuner, il permet au bénéficiaire de payer des services de formation au numérique dans des espaces publics dédiés. C’est bien, cela permet de lutter contre l’illectronisme, mais les problèmes d’équipement restent entiers et, au global, cela ne répond pas à l’ensemble des besoins. Nous faisons face, encore et toujours, à un problème d’échelle. 

Le confinement a-t-il vu de nouvelles initiatives émerger ? 

F.B. Oui mais elles n’ont pas toujours été concluantes. Les acteurs de la générosité ont manqué de moyens financiers. Ils ont également fait face à une pénurie d’ordinateurs : il n’y avait plus de stocks. Le collectif de la médiation numérique s’est, quant à lui, organisé avec un numéro vert et une hotline pour accompagner les problématiques de continuité pédagogique et d’accès aux droits, mais les publics concernés ont-ils été informés ? Les messages diffusés sur Twitter ne risquent pas de les atteindre. Mieux vaudrait, pour les toucher, communiquer sur Netflix, Amazon et Facebook. Pour les non connectés, il faudrait arrêter de s’adresser aux exclus du numérique en utilisant le numérique !

Globalement, le numérique n’est-il pas pensé par des élites peu en phase avec les réalités et les besoins du terrain ? 

F.B. Le numérique est pensé par des hommes blancs et diplômés autant dire une catégorie non représentative de l’ensemble de la population. Les startupers de la Silicon Valley ont ainsi tendance à multiplier les gadgets ou à inventer des problèmes pour pouvoir, ensuite, les résoudre. Prenez Uber et Airbnb. Avoir des difficultés pour réserver un taxi ou une maison de vacances, c’est typiquement un problème de riche. 

Et ils s’adressent en général aux hommes…

F.B. C’est le syndrome de l'airbag : les crash tests sont réalisés sur des mannequins hommes d’1,80 m, ce qui explique que les femmes meurent plus que les hommes dans les accidents de voiture : elles sont moins bien protégées. On peut multiplier les exemples de produits ou services conçus par des hommes à partir de données recueillies auprès des hommes. Dernièrement, des masques et des blouses, conçus pour des hommes, ont été livrés dans des hôpitaux où le personnel est composé à 70% de femmes. Résultat : les soignantes n’étaient pas convenablement protégées. Il existe ainsi dans le secteur du numérique, des biais de genre, de classe sociale et de race. L’intelligence artificielle ne reconnaît pas, par exemple, les visages des noirs, pour les mêmes raisons. C’est aussi ça l’exclusion numérique. 

Qu’en est-il pour les salariés d’entreprise ? 

F.B. Chez Simplon, nous nous sommes aperçus en 2015 que la fracture numérique ne concernait pas que les chômeurs. Et qu’il aurait été trop bête d’attendre qu’ils le deviennent pour accéder à nos formations. Nous avons donc créé Simplon Corp à destination des salariés en difficulté. Nous sommes ainsi intervenus auprès des éboueurs de Suez. Le groupe avait décidé de dématérialiser la prise de congés et les arrêts de travail, mais beaucoup ne savaient comment faire. Nous intervenons également auprès de salariés dont les métiers disparaissent du fait du numérique, les caissières de supermarché ou encore les postiers. Avec une formation, ils peuvent occuper d’autres postes au sein de leur entreprise dans le domaine du numérique. Mais l’essentiel de notre activité consiste à former des demandeurs d’emploi.

Quel est le modèle économique de Simplon ?

F.B. Nous actionnons différents leviers : le mécénat, à hauteur de 35%, qu’il vienne du public ou du privé et la vente de prestations de formation dans le cadre de la formation professionnelle ou de la formation de salariés. Nous faisons du sur-mesure avec des modèles très variables. Aujourd’hui, nous passons autant de temps à faire de l’ingénierie financière que de la pédagogie.

Quels sont aujourd’hui les principaux freins au développement de Simplon ?

 F. B. Notre principale difficulté est de trouver des formateurs. Une équipe de six personnes ne fait que ça à Simplon : les identifier, les attirer, les fidéliser, les chouchouter. Nous sommes une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Nous ne pratiquons donc pas les tarifs du privé. Certains, heureusement, sont attirés par le projet social mais aussi par notre implantation internationale qui permet de mener des missions en Inde ou en Afrique. La seconde difficulté concerne le financement des entreprises qui est fonction de leur maturité à recruter des profils qu’elles considèrent comme différents et risqués. Si on les écoutait, le numérique ne serait accessible qu’à des ingénieurs et des BAC + 5.

Les entreprises tiennent aux diplômes…

F.B. En France, le premier frein à l’employabilité reste le diplôme. A cela s’ajoute le fait d’être une femme. Dans le numérique, c’est culturel. Plus les métiers sont proches de la technologie moins il y a de filles. Mais le pire c’est d’être vieux. Le numérique est vraiment un secteur marqué par le jeunisme. A cela s’ajoute les publics dits fragiles avec les personnes en situation de handicap ou issus des quartiers difficiles, sachant qu’une même personne peut cocher une ou plusieurs cases : une femme âgée et handicapée issue d’un quartier difficile…

Etes-vous inquiets par la crise économique qui s’annonce ?

F.B. Nous entrons dans une crise économique sans précédent qui se fait d’ores et déjà sentir. Les embauches et les contrats d’alternance sont annulés. Les entreprises se désengagent. Nous passons notre temps à envoyer des notes aux cabinets ministériels. Nous craignons que les plans de relance soient pires que le mal. Et on le sait : les entreprises vont avoir tendance à miser sur des candidats issus des filières d’excellence pour relancer la machine économique. C’est plus facile et moins risqué. 

Une note d’espoir ? 

F.B. Certains travers évoluent. Les entreprises s’ouvrent davantage à la diversité : elles réalisent que d’embaucher des femmes, c’est plus facile que de miser sur les très demandés geeks à bouton de l’école 42.  Elles savent, par ailleurs, que la diversité dans les équipes c’est la porte ouverte à l’innovation. Les profils atypiques sont toujours d’une grande richesse pour l’entreprise. Toutes le constatent après embauche. La réforme de la formation professionnelle, engagée l'an dernier, va par ailleurs dans le bon sens. Elle nous permet dorénavant de faire de l’apprentissage. Enfin, le marché du numérique est asymétrique : la pénurie est importante, mondiale pérenne et grandissante. C’est donc une question de temps. Il faut passer la crise. Nous allons continuer à nous battre comme des lions, comme nous le faisons depuis sept ans. 

Simplon en chiffres

7 848 : nombre de Simplonien.nes formé.es dans le monde

30 ans. Age moyen des formés (31% ont moins de 25 ans et 8% plus de 45 ans)

80%. Nombre des formés demandeurs d’emploi

6%. Nombre de formés en situation de handicap

4%. Nombre de formés réfugiés

35%. Nombre de femmes formées

61%. Nombre d’apprenants avec un niveau infra-bac ou bac

102. Nombre d’écoles dites Fabriques ouvertes dont 20 à l’international

72%. Nombre de Simplonien.nes trouvant un emploi