Guillaume Aubin : Directeur de l’expérience travail Région Ile-de-France

Interview

Guillaume Aubin : Directeur de l’expérience travail Région Ile-de-France

20 décembre 2022

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La Région Ile-de-France, la plus grande de France, regroupe 10 000 agents : d’une part, les agents travaillant au fonctionnement des 470 lycées d’Ile-de-France et d’autre part, les agents répartis entre le siège et les différents corps de métiers au service du territoire : les transports et la mobilité, la construction des lycées, la formation continue et l’apprentissage, le développement économique, l’aménagement, l’environnement, la culture, le sport, le tourisme... Partageant les chantiers internes en cours, Guillaume Aubin, Directeur de l’expérience travail, nous fait part des enjeux liés à la conduite de la transformation RH au sein de cette vaste collectivité.

Vous êtes en charge de l’expérience du travail à la Région Ile-de-France. Pouvez-vous nous expliquer la raison d’être de votre Direction et l’origine de sa création ?

La Direction de l’expérience travail est née il y a 6 mois, résultat d’un grand projet de transformation RH au sein de la Région depuis son impulsion par Valérie Pécresse lors de son élection en 2015. Ce projet a été initialement marqué par le regroupement des 10 sites parisiens sur un seul et même site à Saint-Ouen où siège désormais la Région Ile-de-France. Effectif début 2018, le déménagement a été un accélérateur du changement dans la mesure où il englobait de nombreux sujets : le télétravail, la modernisation des outils, le passage au flex office, l’évolution du rôle du manager etc,.. Autant de changements qu’il a fallu accompagner par la création d’une Direction de la transformation. Puis, la crise sanitaire et les confinements de 2020- 2021 nous ont amenés à nous requestionner précisément sur l’expérience que l’on souhaite proposer aux agents régionaux sur site et hors site, avec le renforcement du travail en mode hybride (2 jours de télétravail fixe maximum par semaine et 20 jours de télétravail flottants par an). Au terme de ces réflexions, l’organisation de la Direction de l’expérience travail s’est construite à partir du parcours de l’agent, animé autour de 4 services : accueil, communication interne, prévention et santé au travail, transformation et accompagnement des managers. La raison d’être de notre Direction est d’optimiser les conditions de travail des agents, et de favoriser leur engagement. Chacun de ces services est centré sur l’agent, dans le but d’une expérience collaborateur enrichie, ce qui donne lieu à des synergies intéressantes.

Quelles sont concrètement les missions de l’expérience travail à la Région et vos chantiers prioritaires ?

Un de nos chantiers prioritaires est un projet d'incubateurs en lien avec le développement d’offres de services en Ile-de-France. L’ambition de faire venir des entrepreneurs externes est emblématique d’une ouverture de notre siège, à l’image d’une agora des franciliens, porteuse d’une énergie régionale. Envisager ce pôle d’attraction participe à la vie du site : la présentation de projets et des conférences dédiées contribuera au partage d’expertises et de savoir-faire entre nos agents régionaux et les start-up (par exemple, entraide ou apport de connaissance en matière de levée de subventions ou de fond européens, montage de marchés publics, etc.).

En créant ce lieu de bouillonnement intellectuel, la Région offre ainsi de nouvelles perspectives et motivations à l’ensemble des agents au profit de leur développement et de celui du territoire. Cela participe également à la transformation des pratiques et des usages susceptibles d’être nourris de l’extérieur.

Tous les projets d’incubation sélectionnés auront un même fil rouge : le sujet du handicap, levier d’inclusion sur lequel est investie la Région. Les porteurs de projets sont eux-mêmes en situation de handicap ou leur solution vise à répondre à un problème de handicap ; enfin si ce n’est pas le cas, ils seront sensibilisés à cette problématique pour la prendre en considération dans leur offre de valeur. Les agents amenés à collaborer pourront ainsi mieux appréhender le handicap en  côtoyant au quotidien des entrepreneurs en situation de handicap. L’expérience permettra de lever de fausses croyances ou d’éventuels freins à l’inclusion.

Un espace de 2500 m² est dédié à ces projets d’incubation pour un démarrage dès le début de l’année 2023. Une quarantaine de projets, après sélection par un jury, pourra prendre place ; les profils et origines se veulent très variés, diplômés ou non, à l’image de la diversité de la Région.

Un autre chantier concerne le sujet de la santé mentale et la prévention des risques psycho-sociaux. Nos psychologues du travail ont un rôle clé pour prendre en charge les pré burn-out, burn-out, ou syndromes dépressifs graves. Aujourd’hui, les sphères professionnelles et personnelles sont très ténues et la responsabilité des employeurs dans la gestion du bien-être individuel se pose. Nous questionnons le sujet du maintien de l’équilibre et de l’hygiène mentale. Sachant que les causes peuvent être de diverses origines, comment aborder les signaux faibles susceptibles de prendre de l’ampleur (troubles du sommeil, stress, anxiété, liés à un changement managérial, remise en question professionnelle, problème personnel, etc.) ? Laisser ses soucis à la porte du travail est-il vraiment réaliste ? Comment trouver une forme d’accompagnement qui n’est pas envahissante ? Comment anticiper les risques liés à l’absentéisme ? Le sujet est délicat et complexe d’autant plus que les agents du siège n’ont pas forcément les mêmes problématiques que les agents des lycées dont les métiers sont plus physiques, et susceptibles d’être sujets à d’autres formes de stress.

Comment porter la culture de la collectivité ?

Ce sujet est clé à la Région : étant un service public, la culture est évidemment construite autour du sens, du service aux Franciliens et du bien commun.

Une des difficultés réside dans la diversité des compétences car elles n’ont pas forcément de liens entre elles, la connexion entre les gens au sein de la Région n’est donc pas toujours évidente. Plusieurs démarches contribuent à cultiver le vivre ensemble : le siège unique, les espaces en open space, la place du village et le restaurant de la collectivité au cœur du rez-de-chaussée. Par ailleurs, nous avons mis en place un dispositif de conférences mensuelles accessibles en présentiel et en distanciel. Ce dispositif, nommé « Vu d’ici », incite et invite les agents, encadrants ou non encadrants, à présenter leur projet mené à la Région à l’image des TED X. Instituées dans une démarche de transparence, y compris les difficultés, ces conférences favorisent les regards croisés, l’entraide et le développement des agents qui peuvent bénéficier d’accompagnements de prise de parole en public. Afin de cultiver le maillage des compétences et la communication au sein de la Région, les agents peuvent également partager leurs expériences via des podcasts internes.

L’organisation en matière décisionnelle est-elle centralisée ou décentralisée ? Quel est le mode organisationnel dans une si grande collectivité ?

Le mode organisationnel est historiquement classique, centralisé, assez vertical. Toutefois, nous essayons dans une démarche de transformation, de favoriser les échanges de pratiques, de communautés, des modes d’échanges horizontaux, comme évoqué précédemment. La politique RH souhaite tendre vers la responsabilisation des managers de proximité. A titre d’exemple, si les RH ont défini le cadre du télétravail - ie 1 ou 2 jours / semaine - nous avons tenu à ce que la décision finale revienne aux managers directs, les plus à même de définir ce qui convient le mieux à chaque agent, en fonction de sa mission, de son niveau d’autonomie et de son enjeu professionnel.

Quelle est la composition et l’ancienneté moyenne des 300 managers qui constituent le “campus des cadres” de la Région IDF ?

A date, la communauté de managers est extrêmement diverse, avec des managers nouvellement arrivés, des personnes expérimentées qui ont fait carrière à la Région, des fonctionnaires, des contractuels… l’ancienneté moyenne est de 8 ans, avec une moyenne d’âge de 40 ans. Chaque nouvel arrivant peut bénéficier d’un parrainage d’onboarding, d’une durée de 6 mois.

A votre avis, quels sont les enjeux du management aujourd’hui compte tenu du travail désormais hybride ?

La question du management des équipes en mode hydride comme du management par objectif est clé. Comment manager par la confiance, quel est mon rôle en dehors de l’autorité ? Comment mettre les équipes dans les meilleures conditions pour réussir ? Comment définir les objectifs, comment les suivre, les partager ou accompagner le tir s’ils ne sont pas atteints ?

Les formations et la mise en place d’une communauté des encadrants ont favorisé le partage des meilleures pratiques via notamment le co-développement. L’évolution des comportements et l’ancrage nécessitent un temps long.

Quid d’autres sujets liés à la responsabilité sociale portée par la Région Ile-de-France ?

Un des sujets sociétaux qu'on estime prioritaires concerne l’égalité femmes/hommes. Nous avons obtenu le label AFNOR qui, pour son maintien, nécessite de rester dans une logique d’amélioration continue.

En premier lieu, nous nous sommes investis sur quinze jours “orange” au travers d’actions de prévention à partir de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Le sujet concerne également d’autres aspects, notamment le respect de l’équité en matière de salaires (avec plusieurs phases de rattrapage sur différentes catégories d'emplois faites) et l’accès aux postes à responsabilité. L’évolution doit s’effectuer à différents niveaux : si les femmes sont bien représentées au premier échelon de management, elles le sont beaucoup moins sur les postes de direction, même s’il y a certaines obligations dans la fonction publique sur les nominations hautes (DGA, DG…).

Pour cela, nous misons sur la sensibilisation interne grâce à des interventions externes sur des thèmes comme ‘Osez en tant que femme les postes à responsabilité’…nous devons en effet aussi agir pour lever certaines barrières ; par exemple, changer les regards portés sur les horaires et faire de la flexibilité une norme.

Quelles sont les difficultés majeures en matière de conduite de la transformation ?

Il est souvent difficile de mobiliser les équipes, de sortir les agents de leur quotidien. A titre d’exemples, les conférences « Vu d’ici » qui participent de la conduite du changement, mobilisent en moyenne 100 à 200 personnes sur 1800 personnes (en présentiel ou distanciel); nous avons plus d’ambition pour mobiliser l’interne.

Autre exemple, certaines séances de co-développement sont annulées faute de participants et pourtant 95% souhaitent leur maintien quand la question de leur intérêt est posée !

Il est donc difficile d’éveiller les consciences sur la nécessaire conduite de changement ; il faut reconnaître un certain paradoxe entre la volonté de faire évoluer nos pratiques et la difficulté à sortir de sa zone de confort ou à se rendre disponible et engagé en dehors de sa mission contractuelle. Le campus des cadres n’a que 5 ans d’existence, nous avons du travail pour faire évoluer les regards, le maillage et l’action collective.

9- Qu’est-ce qui vous motive particulièrement dans la direction de l’expérience travail à la Région Ile-de-France ? Ma motivation est de contribuer à changer la vie des gens : transformer, libérer les initiatives, améliorer les conditions de travail de chacun, là où nous passons tant de temps et où nous mettons tant d’émotions ! Nous avons la chance d’être à une période charnière où le rôle des RH est fondamental. Les études quotidiennes sur le sujet du rapport au travail nous alimentent et nous interrogent. Or, nous avons à la Région les moyens de faire des choses, ce qui est très motivant. A titre d’exemple, en ce moment même, prend place un concours de projets solidaires dont certains sont menés avec des associations, cela participe également de la transformation et donne beaucoup de sens. Comme évoqué, l’incubateur de projets entrepreneuriaux est un autre exemple formidable, et si tout ceci a pris du temps depuis le pitch de cette ambition, voir sa mise en œuvre se concrétiser est une véritable satisfaction !