Mathieu Jahnich : "Le greenwashing ne s’est jamais aussi bien porté"

Interview

Mathieu Jahnich : "Le greenwashing ne s’est jamais aussi bien porté"

Consultant, chercheur, enseignant à Science-Po.

7 décembre 2021

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Mathieu Jahnich
     
     
"Comme l’a montré, en 2020, le rapport Big Corpo de Résistance à l’agression publicitaire, la communication environnementale est aussi utilisée pour faire pression sur les politiques. Il s’agit de leur dire, regardez, nous sommes conscients des problèmes, ce n’est pas la peine de légiférer, nous agissons par nous-même."

Consultant, chercheur, enseignant à Science-Po, Mathieu Jahnich, n’a de cesse de lutter contre le greenwashing. Où en est, en 2021, ce procédé marketing utilisé, par les entreprises, pour se donner une image verte et responsable en décalage avec la réalité de leur produit ou de leur activité ? Quelle forme prend-il ? Réponse avec ce spécialiste en communication responsable.

Le greenwashing est-il toujours à la hausse ?

Le dernier bilan "publicité et environnement", publié en 2020, indiquait que plus de 11% des publicités françaises n’étaient pas conformes aux règles déontologiques en vigueur dans le secteur de la communication. Ce taux, qui plafonnait depuis plusieurs années à 5, 6%,  a suivi le fort développement des prises de parole des entreprises sur l’environnement. Attendons le bilan de 2022 pour voir si la hausse se confirme. Mon sentiment est que cela ne va pas en s’améliorant.

Cette année, vous avez porté plainte contre 26 publicités auprès de l’ARPP, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité. Quel cas de greenwashing vous semble le plus emblématique ?

Je citerais la campagne Adidas pour une Stan Smith "50% recyclée". Quelle partie de la chaussure est recyclée ? Qu’est-ce qui le sera par la suite ? Où sont les preuves ? La démarche manque de clarté et de précisions. Quant au logo maison mis en avant, il est trompeur : "End plastic waste" laisse entendre que la commercialisation de cette chaussure va mettre un terme aux déchets plastiques.

Vous pointez également l’émergence d’une nouvelle forme de greenwashing, le méta-greenwashing ? Des exemples ?

Oui cela est manifeste, selon moi, quand une entreprise communique sur une action qui s’avère très loin de ses véritables enjeux sectoriels. Prenons par exemple le Crédit Mutuel : cette banque a diffusé, cet été, une campagne d’affichage sur une nouvelle carte bancaire conçue en plastique recyclé et de couleur blanche pour utiliser moins d’encre. Elle déclarait : "c’est tout simple et c’est plus écologique". Certes.  Mais l’enjeu pour le secteur bancaire n’est pas là. Il est dans l’utilisation de notre argent pour financer ou non des énergies fossiles. C’est la même chose, selon moi, lorsqu’ Amazon communique sur l’utilisation de cartons recyclés ou que Mercedes fait de la publicité sur l’une de ses usines alimentées par 100% d’énergie éolienne. Ces entreprises se présentent comme des acteurs engagés qui font leur part, mais leur communication laisse dans l’ombre leurs principaux impacts. C’est ça le méta-greenwashing.

Qu’en est-il, selon vous, de la neutralité carbone dont parlent beaucoup les entreprises aujourd’hui ?

Voilà, là-encore, une nouvelle forme de greenwashing. Prenez les compagnies aériennes. Elles disent vouloir être neutres en carbone à l’horizon 2050. Pour ce faire, elles vont utiliser, entre autres, des avions à hydrogène tout en misant sur des procédés de réduction ou de séquestration de CO2 comme planter des arbres. Or cette idée de compensation est trompeuse à plus d’un titre. Il existe tout d’abord des incertitudes sur le calcul des émissions d’une entreprise donc sur le taux à compenser. Les procédés de captation sont, quant à eux, problématiques : une forêt séquestre du CO2 sur un temps long, de 40, 50 ans, quand les émissions d’une entreprise sont très actuelles. Les arbres peuvent par ailleurs brûler comme cela s’est produit en Californie. La neutralité n’est donc pas la panacée. Or beaucoup l’utilisent pour continuer à faire comme avant, en se déculpabilisant. Sans parler du fait que le terme même de neutralité laisse penser que l’entreprise ne participe pas au problème, qu’elle n’a pas d’impact.

Comme le disait, Jean-Marc Jancovici, le problème aujourd’hui n’est plus les climato-sceptiques, mais les déclarations très rassurantes expliquant que tout va se régler en ne changeant, qu'à la marge, l'organisation générale du monde…

Oui les compagnies aériennes doivent aujourd’hui forcément interroger la question du nombre de vols et de passagers. Il faut réduire avant de compenser car l’activité actuelle de tous les secteurs ne pourra être neutralisée : la surface terrestre ne suffira pas. L’Ademe va d’ailleurs demander aux entreprises de bien scinder en deux leur communication en indiquant, d’un côté, leurs ambitions et leurs résultats en matière de réduction des émissions de CO2, directes et indirectes et, de l’autre, leurs efforts de financement concernant la séquestration et la captation carbone. Une note est en préparation à ce sujet.

Qui pratique, selon vous, le greenwashing ? Des cyniques, des je-m’en-foutistes, des inconscients ?

Dans la quasi totalité des cas, je ne note pas de mauvaise intention de la part des entreprises.  C’est plutôt de la maladresse. Il existe encore des professionnels de la communication qui ne connaissent pas l’existence des règles déontologiques en vigueur dans leur secteur. Et qui continuent donc à dire qu’un produit est écologique au lieu de dire qu’il est plus écologique.

Un article du Guardian, du 1 er octobre 2021, pointe également une certaine schizophrénie à l’œuvre chez Apple, Amazon ou encore Microsoft. Ces entreprises financent des lobbys chargés de combattre la loi climat portée par l’administration Biden tout en déclarant publiquement lutter contre le dérèglement climatique…

Comme l’a montré, en 2020, le rapport Big Corpo de Résistance à l’agression publicitaire, la communication environnementale est aussi utilisée pour faire pression sur les politiques. Il s’agit de leur dire, regardez, nous sommes conscients des problèmes, ce n’est pas la peine de légiférer, nous agissons par nous-même.

Comment lutter ?

Le public doit rester vigilant dès qu’il y a un argument ou un produit dit écologique. Il est aussi possible, pour lui, de consulter des applications comme My Label s’il souhaite orienter sa consommation vers des produits plus responsables et plus éthiques. Pour les professionnels de la communication, il faut s’informer, se former, se procurer le livre de l’Ademe sur la communication responsable. L’Etat devrait, de son côté, mieux encadrer l’expression publicitaire pour mieux lutter contre le greenwashing.

Et côté entreprises ?

Ce qui leur manque aujourd’hui, c’est un discours d’honnêteté sur les enjeux et sur les difficultés rencontrées. Avec les publicitaires, elles ont appris à se montrer sous leur meilleur jour. Or, le développement durable n’est pas une fin en soi mais un chemin. A l’avenir, il faudrait qu’elle puisse dire voilà nos objectifs, voilà ce que l’on a fait, voilà ce que l’on a essayé de faire et que l’on n’a pas réussi, voilà ce que l’on n’a pas encore fait, voilà ce que l’on ne sait pas encore faire. C’est ainsi qu’elles regagneront la confiance du public.

La publicité a-t-elle, in fine, un rôle à jouer dans la transition écologique ?

Oui car si la publicité pousse la surconsommation et nous manipule, elle peut aussi nous aider à mettre en avant des produits labellisés et des éco-gestes. Elle participe à l’élaboration d’un nécessaire récit qui doit donner envie d’un futur souhaitable, un monde nouveau, plus durable et plus désirable.