Mathilde Le Coz : "Il faut réinventer la fonction  RH"

Interview

Mathilde Le Coz : "Il faut réinventer la fonction  RH"

Mathilde Le Coz est directrice des ressources humaines de Mazars et présidente du LAB RH

5 mai 2022

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Mathilde Le Coz
     
     

Mathilde Le Coz est directrice des ressources humaines de Mazars (cabinet d’audit, d’expertise comptable, de fiscalité et de conseil aux entreprises) et présidente du LAB RH, association dont l’objectif est de promouvoir l'innovation RH sous toutes ses formes. A son poste, Mathilde Le Coz, qui collabore avec pas moins de 22 start-ups, déploie sa vision du métier. « Je ne suis pas le bras armé de la direction », explique cet adepte d’un marketing RH au service des collaborateurs. Interview.

Qu’est-ce que l’innovation RH ?

Elle est portée par la technologie, les Tech RH, mais elle concerne également le changement de posture des RH. Le métier doit évoluer, en termes de positionnement, de posture et de compétences. Lui-aussi est touché par des enjeux de transformation. Il doit se réinventer.

D’autant qu’il est peu apprécié. Une enquête FoxRH de février 2022 indique que 73% des Français jugent les DRH distants, c’est à dire trop proches de la direction au détriment des salariés…

Je ne suis pas étonnée. Le RH bashing est une réalité. Quand j’ai commencé dans ce secteur – moi qui viens de l’audit financier – j’ai découvert à quel point le DRH faisait peur au sein de l’entreprise, à quel point il était isolé. 

Comment l’expliquez-vous ?

Ce métier a été longtemps cantonné au juridique, au droit du travail, aux contentieux et aux risques. Le DRH est là pour protéger les intérêts de l’entreprise et, si besoin, pour licencier. Il fait le sale boulot. J’ai parfois rencontré, il faut l’avouer, des DRH austères, en posture haute, disant à peine bonjour, tout en parlant de bienveillance. On n’y croit pas une seconde.

Le DRH doit incarner le changement s’il veut aider les autres à se transformer. Il doit être exemplaire, épanoui, enthousiaste, s’il souhaite des collaborateurs épanouis. Or le mal-être, dans ce métier, est palpable. Depuis le Covid, c’est même lui qui concentre, au sein de l’entreprise, le plus de burn out.

En quoi cela reste, selon vous, un beau métier ?

Pour moi, le DRH est un professionnel qui aime les gens et se met à leur service. Chez Mazars, j’ai eu la chance d’inventer la fonction telle que j’avais envie de l’exercer. Je ne suis pas le bras armé de la direction. Je suis à l’écoute des collaborateurs. Je fais entendre leurs messages à des dirigeants qui ont compris l’importance du capital humain. Je suis garante d’un dialogue social de qualité. Je crois par ailleurs que le travail contribue au bien-être des gens. Si je fais en sorte que 4000 personnes se sentent mieux, j’aime espérer que je contribue un peu, à mon tout petit niveau, au bien-être global de la société. A l’image du colibri, je fais aussi ma part.

Concrètement, que faites-vous ?

Je fais principalement du marketing RH. J’ai des clients, les collaborateurs, et des prospects, les candidats. Dans les deux cas, je cherche à connaître leurs besoins et leurs attentes. Je segmente des populations cibles et leur adresse des messages spécifiques : un jeune diplômé appréciera la liberté, la flexibilité, un cadre de travail sympa et un I Phone ; un trentenaire sera plus sensible à un dispositif d’accompagnement à la parentalité. Pour bien cerner ces profils, je fais de la veille, du benchmark,  de la prospective, des enquêtes et des focus groupes. Je co-construis avec différents publics et j’expérimente puis je tiens compte des retours d’expérience pour ajuster avant tout déploiement massif.

Ces approches demandent-elles de nouvelles compétences ?

Oui, mes équipes RH sont formées au coaching, à la facilitation, à l’idéaction, au design thinking et à l’UX design. Il est important qu’elles pensent avant tout « utilisateur » et « satisfaction ». J’organise également des « vie ma vie ».  Les professionnels RH partent sur le terrain travailler une à deux semaines avec des collaborateurs. Rien de tel pour bien les accompagner.

Quelle place occupe la technologie dans votre métier ?

Je ne crois pas à la fonction RH remplacée par des robots. Au contraire, la technologie est au service de notre métier et de sa transformation. Depuis un an, par exemple, nous utilisons Djigg, une solution qui gère les prises de rendez-vous entre recruteurs et candidats avec SMS de confirmation, informations pratiques et message de suivi. Djigg nous a permis de libérer un poste de tâches à faible valeur ajouté. L’assistante RH qui gérait les rendez-vous peut s’occuper aujourd’hui de relations humaines : accueil du candidat, présentation de l’entreprise, visite des locaux.

Au total, vous travaillez avec pas moins de 22 start-ups. C’est beaucoup…

Nous sommes en effet un mini-lab RH ouvert sur l’expérimentation. Les systèmes d’information globaux RH ont, selon moi, leurs limites. Ces plateformes gèrent l’ensemble des données et des fonctions RH, mais elles ne font pas tout de manière excellente. Je préfère miser sur des start-ups spécialisées. Le produit fini et l’expérience utilisateur sont de bien meilleure qualité.

Quels autres services utilisez-vous ?

Nous travaillons avec Goshaba, un jeu qui évalue les compétences cognitives des candidats à l’origine de soft skills gages de succès pour un poste. Une aide à la décision qui permet de sélectionner en priorité certains candidats. L’année dernière, notre équipe de 7 personnes a géré 70 000 candidatures pour 1400 postes ouverts. Ces chiffres montrent en quoi la technologie nous est utile. Je pourrais également citer Yaggo qui répond à un enjeu de taille : la réponse aux candidats après entretien. Dans bien des cas, elle est inexistante. Or l’expérience du candidat doit être optimale, du début à la fin, si l’on souhaite qu’il recommande l’entreprise. Avec Yaggo, nous offrons une réponse personnalisée à l’ensemble de nos candidats.

La pénurie de candidats est-elle importante ?

Nous manquons de certaines compétences notamment technologiques : les codeurs, les développeurs, les data scientist font partie des profils recherchés et qui font aujourd’hui défauts. Il existe également un manque d’experts comptables et de commerciaux purs et durs.

Comment attirer les talents ?

Pour rester attractif, il faut une marque employeur forte et plusieurs atouts. Le télétravail est devenu un prérequis. Tout comme des bureaux et un environnement de qualité. Il faut également un management qui incarne l’ouverture, la confiance et la flexibilité.

La culture managériale, c’est l’enjeu du moment ?

Le télétravail a mis à jour, dans beaucoup d’entreprises, de vraies lacunes en management. Les bons managers s’en sont sortis, ceux qui savent créer du lien, partager les valeurs de l’entreprise, augmenter le sentiment d’appartenance, donner des objectifs et déléguer. Les petits chefaillons obsédés par le contrôle non. Pendant longtemps, le management a été un attribut statutaire. Or cette fonction, au service des autres, demande de vraies qualités et des compétences spécifiques. Je pense à la communication non violente, à l’assertivité, à l’intelligence émotionnelle et collective. C’est l’enjeu pour les années à venir.