Marie-Victoire Abbou : Mécénat, les entreprises ont envie de jouer collectif

Interview

Marie-Victoire Abbou : Mécénat, les entreprises ont envie de jouer collectif

Marie-Victoire Abbou - Déléguée générale de l’Admical

24 janvier 2022

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Marie Victoire Abbou ©Sagescommedesimages
     
     
Admical estime que 9 % des entreprises françaises sont mécènes, pour un montant global compris entre 3 et 3,6 milliards d’euros. Ce qui est à la fois beaucoup et peu comparé à d’autres pays, comme les Etats-Unis, où le mécénat est largement plus développé.

Fin 2021, la sixième édition du Mécènes forum est revenue sur les enjeux actuels et à venir du mécénat d’entreprise bousculé dans ses champs d’intervention par la crise, les nouveaux enjeux sociétaux et le développement des directions RSE au sein des organisations. Le point sur cette pratique avec Marie-Victoire Abbou, déléguée générale de l’Admical, association qui rassemble et représente, en France, l’ensemble des mécènes.

Comment se porte le mécénat aujourd’hui en France ?

Notre dernier baromètre, réalisé en 2020, confirme que sa hausse se poursuit notamment en provenance des petites entreprises qui représentent deux tiers des mécènes. Aujourd’hui, Admical estime que 9 % des entreprises françaises sont mécènes, pour un montant global compris entre 3 et 3,6 milliards d’euros. Ce qui est à la fois beaucoup et peu comparé à d’autres pays, comme les Etats-Unis, où le mécénat est largement plus développé.

La crise sanitaire a-t-elle freiné cet élan de générosité ?

Une enquête menée en pleine pandémie a montré que, malgré leurs propres difficultés, les entreprises se sont largement mobilisées en 2020 notamment auprès du monde associatif et hospitalier. Et, dans ce contexte, le mécénat s’est affirmé comme un des canaux d’engagement prioritaires.

Dans ce baromètre, 87% des mécènes interrogés alerte également sur le fait que l'engagement sociétal des entreprises risque d’être ralenti par la crise économique…

C’est trop tôt pour le dire. Le prochain baromètre prévu à l’automne 2022 nous permettra d’observer les évolutions à plus long terme.

Qu’en est-il de la réforme de la loi Aillagon en 2019.  Un coup dur pour le mécénat d’entreprise ?

Cette loi limite, d’un côté, la réduction d’impôt pour les entreprises dont les dons sont supérieurs à 2 millions par an, mais elle l’augmente aussi, de l’autre, pour les plus petites, en doublant leur plafond. Ce second point a malheureusement été oublié dans le débat médiatique.

Le mécénat fait par ailleurs l’objet de critiques. Pour certains, il semble désuet au regard des enjeux actuels de transformation des modèles existants. Il serait aussi une façon de se donner bonne conscience sans changer le fond du problème…

Nous aspirons tous à ce que le système économique et financier change en profondeur vers une meilleure répartition de la richesse. Reste que le mécénat est un formidable outil au service du bien commun. Créateur de liens, facteur d’innovation sociale, il apporte des ressources financières et humaines au monde associatif et à la société. Et il évolue vers un accompagnement structurel et plus seulement de projet.

Le mécénat d’entreprise semble aussi chahuté au sein d’entreprises qui déploient des politiques RSE…

Il n’est pas chahuté, il évolue.Aujourd’hui, les directions de la RSE et du mécénat se rapprochent au sein de directions de l’engagement. Le mécénat est ainsi davantage piloté en cohérence avec la stratégie de l’entreprise et en lien avec son cœur d’activité. Néanmoins, les entreprises doivent être vigilantes à bien distinguer leur rôle social en tant qu’entreprise et leurs actions au bénéfice de l’intérêt général. C’est la limite à l’alignement avec la RSE.

Le mécénat peut aussi apparaître comme « la danseuse du président » notamment dans le secteur culturel marqué cette année par l’ouverture du musée parisien de François Pinault…

Dans les actions de mécénat, la personnalité et l’intérêt pour certaines thématiques du dirigeant et propriétaire d’une entreprise ont toujours été importants. Mais aujourd’hui, le mécénat d’entreprise relève davantage d’une stratégie que d’un coup de cœur individuel. Il y a la volonté d’inclure toutes les parties prenantes de l’entreprise et d’aller là où il y a des besoins notamment dans le secteur social.

Le musée de la Bourse du commerce n’est-il d’ailleurs pas l’arbre qui cache la forêt ? Beaucoup se demande si les entreprises mécènes n’ont pas déserté la culture…

La culture reste aujourd’hui encore le deuxième domaine soutenu par les mécènes après le social et devant l’éducation. Si certaines entreprises ont été contraintes de se désengager du secteur culturel pour des raisons économiques, les mécènes ont, au même titre que les citoyens, pris conscience du besoin individuel et collectif de culture, du rôle essentiel des artistes et de l’existence d’une économie de la culture qui fait vivre de nombreux territoires.

Le mécénat de compétence semble, de son côté, avoir le vent en poupe. Le gouvernement vient même de lui consacrer un guide pratique…  

L’Etat reconnaît que c’est un moyen à la portée d’entreprises de toutes tailles alors que le secteur associatif est dans le besoin. C’est aussi une attente des collaborateurs, un moyen différent d’incarner les valeurs de l’entreprise, d’apporter du sens. Un des enjeux cependant est que ce type de mécénat réponde au mieux aux besoins des associations. Elles ont parfois davantage besoin de bénévoles, d’adhérents et de soutien financier que de compétences ponctuelles.

Le mécénat collectif semble également une autre tendance d’avenir…

Oui les entreprises mécènes ont envie d’agir collectivement pour amplifier leur impact. La puissance publique est également plus ouverte aux partenariats entre le public et le privé. Admical souhaite ainsi accompagner ce mouvement. Nous lançons d’ailleurs début 2022 un incubateur de projet de mécénat collectif à destination des entreprises et des acteurs publics.

La formation est un autre enjeu important pour développer le mécénat ?

Au sein des entreprises, le mécénat est parfois confié à des salariés en reconversion qui ont besoin d’être formés quand d’autres ont besoin de se perfectionner. Il existe donc un véritable enjeu de professionnalisation et de montée en compétences pour le mécénat d’entreprise. Nous allons d’ailleurs, en 2022, renforcer notre offre de formation à destination des mécènes et de leurs équipes.


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