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Ils sont de plus en plus nombreux. Leur poids est devenu tel dans la structure démographique professionnelle que l’on peut légitimement se demander s’ils représentent une catégorie socio-économique spécifique ou s’ils forment plutôt un agrégat hétérogène de salariés aux positionnements et aux responsabilités de plus en plus divers, et qui finalement se fondent progressivement dans l’ensemble des travailleurs. “Ils”, ce sont les cadres. Une population en mutation, qui fait l’objet de deux études de fond, l’une juridique, l’autre statistique, récemment menées par France Stratégie.
Si elle puise ses racines loin dans l’histoire française, la catégorie des cadres s’est affirmée dans les années 1930 pour se structurer à la deuxième moitié du XXème siècle, parallèlement à l’essor des classes moyennes. Dans un contexte d’organisation du travail très “fordiste” et fortement hiérarchisé, le cadre se distingue de l’ouvrier et de l’employé d’un côté, de l’employeur de l’autre. A compter du début du XXIème siècle, la tertiarisation accrue de l’économie et le développement de modèles plus agiles sont venus changer la donne. Avec deux axes concordants d’évolution. D’une part la forte augmentation du nombre de cadres : entre 2003 et 2016, les “cadres et professions intellectuelles supérieures”, selon la désignation consacrée par la statistique publique, qui recouvre les cadres du privé, du public et les professions libérales, sont passés de 3,6 à plus de 4,6 millions en France métropolitaine. D’autre part la scission du statut de cadre et de ses fonctions originelles de supervision ou de management. Ainsi, dans les organisations du travail, on assiste à une cohabitation de plus en plus marquée entre cadres experts sans fonction hiérarchique et non-cadres managers de terrain. En 2016, 68 % des cadres salariés d’entreprise supervisent le travail d’autres salariés (contre 34 % pour les non-cadres), mais seuls 34 % des cadres font de cette supervision leur activité principale (10,5 % des non-cadres). Les cadres femmes supervisent moins souvent que les hommes (63 % contre 71 % dans les entreprises) mais l’écart tend à se réduire. Il semble que la part des cadres « encadrants » à titre principal ou secondaire tend à diminuer, alors que les employés et ouvriers tendent à encadrer plus fréquemment, surtout en tant qu’activité principale.
Si certains signes distinctifs traditionnels de la catégorie (diplôme, salaire, masculinité et statut social — demeurent (niveau d’études, diplôme, salaire, masculinité, statut social), ils sont moins déterminants et pour certains sérieusement remis en cause par les évolutions sociales, comme la féminisation de l’emploi. Entre 2003 et 2016, la part de femmes cadres a progressé de 5 points pour dépasser les 40 % en moyenne. Dans le public, les femmes sont même devenues majoritaires.
Le critère salarial lui aussi perd de sa puissance de démarcation. Certes, La rémunération moyenne mensuelle nette des cadres salariés à temps complet (dans le public et le privé) est environ deux fois plus importante que celle des non-cadres. Mais l’écart s’est légèrement infléchi en quinze ans.
Les critères d’autonomie et de responsabilité restent encore également plutôt associés à la fonction cadre. En 2016, 66 % des cadres déclarent « régler personnellement les incidents la plupart du temps » contre 54 % des professions intermédiaires, 39 % des employés et 36 % des ouvriers. Mais, là aussi, cette caractéristique semble de moins en moins distinctive, car les marges d’autonomie reculent dans toutes les catégories de salariés depuis 1998 et les cadres constituent à cet égard la population relativement la plus touchée.
Il semble en fait que le critère distinctif le plus permanent soit celui de l’employabilité. En 2016 comme en 2003, environ 97 % des cadres du privé déclarent être en contrat à durée indéterminée, alors que ce n’est le cas que pour 73,7 % des non-cadres. Leur ancienneté dans l’emploi demeure également élevée.
Aujourd’hui déjà, et plus encore demain, Les cadres sont et seront confrontés à de nouveaux enjeux, parfois à de nouveaux risques qui peuvent amener de nombreux candidats à ne plus aspirer à exercer des responsabilités, en particulier d’encadrement. Cette évolution a brouillé les modèles d’identification entre reconnaissance du statut et responsabilités aux frontières de plus en plus mouvantes. Car de quelles responsabilités parte-t-on ? Engagement à l’égard des salariés et plus largement des parties prenantes de l’entreprise (clients, fournisseurs, prestataires, actionnaires, citoyens) ? Participation aux prises de décisions stratégiques ? Droit d’alerte ? C’est sans doute dans la réponse à ces questions que se modèleront, demain, les nouveaux contours du statut et de la fonction cadres.