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« Ce type de mission est très gratifiant. Le fait d’être confronté à des situations souvent complexes qu’il faut résoudre en un temps court crée un lien fort avec les équipes. C’est un peu comme dans un engagement sportif ». Depuis quinze ans, Daniel Immacolato qui a aujourd’hui 54 ans est manager de transition à « plein temps ». Il fait partie des quelque 10 000 à 15 000 dirigeants en France qui accomplissent, pour le compte d’une entreprise, d’un organisme public ou d’une association, des missions spécifiques sur une durée limitée : remplacement d’un manager, restructuration, accompagnement de la croissance, conduite de projets exceptionnels, transformation de l’organisation… Leurs interventions durent en moyenne entre 6 et 7 mois, mais peuvent aller jusqu’au 12 ou 18 mois selon les cas.
« Un manager de transition est là pour faire bouger les lignes. Or dans ce cas, ce qui compte in fine c’est la volonté réelle du client ».
Ce vivier de managers volants se partage un marché qui compte environ 4 000 missions par an. « On est certes loin des marchés de l’intérim et des RH dont les activités génèrent respectivement 30 milliards et 3 milliards d’euros par an. Mais le mangement de transition est en pleine croissance, plus de 15% par an », souligne Benoit Durand-Tisnes, président de France Transition, la fédération des Entreprises de Management de Transition (EMT) qui déclare représenter plus de 60% du marché, le reste étant contractualisé directement entre entreprises clientes et managers indépendants.
« La première condition pour réussir un management de transition est, en amont, de clarifier la mission avec des priorités précises ».
« Les deux tiers de ces missions concernent des fonctions support (finance, RH, SI…). Environ 10% portent sur des postes opérationnels (directeur industriel, d’usine, de la supply chain, des achats…) et 10% sur des postes de direction générale et de direction de business unit ou de filiales. Il y a en revanche peu de missions en communication, marketing ou vente », détaille le président de France Transition par ailleurs dirigeant de l’EMT Wayden.
Côté secteur d’activité, la moitié des demandes viennent de l’industrie, suivie de la distribution et des services surtout BtoB. Il s’agit essentiellement d’ETI et de grandes entreprises. Le coût d’intervention d’un manager de transition est souvent rédhibitoire pour une PME. Il faut en effet compter entre 800 et 2500 euros par jour, soit un surcoût de 30 à 40% par rapport à un manager en CDI. La rémunération peut même aller jusqu'à 4500 euros par jour selon la fonction et le profil. « Un coût qui s’explique par la rapidité d’intervention (en général moins de 3 semaines contre 6 mois à un 1 an pour une mission de recrutement en CDI), le profil des managers (souvent ‘’surcapés’’ avec un vrai savoir-faire, une grande expérience) et, dans le cas d’une prise en charge par une EMT, la valeur ajoutée du suivi de la mission », explique Benoit Durand-Tisnes qui met en avant le travail de labellisation mené par France Transition sur un marché encore peu normé.
« Il faut savoir se mettre dans un état d’esprit d’engagement gratuit, sans calcul. Le manager de transition n’a rien à attendre en termes de carrière. La satisfaction est à trouver dans l’efficacité et l’immédiateté de la mission accomplie ».
La marge prise par les EMT oscillerait entre 25 et 40%. Mais la concurrence est de plus en plus vive, surtout en période de reprise post-Covid avec la raréfaction des talents : actuellement, 25 à 35% des managers de transition seraient finalement embauchés en CDI… Une solution intéressante pour les entreprises qui non seulement disposent ainsi d’un manager rapidement mais de plus peuvent le recruter si elles en sont satisfaites.
Mais qui sont ces managers de transition ? D’abord des hommes à plus de 75%. « Un reflet de la réalité du management en France essentiellement masculin, surtout dans l’industrie », constate Jean-Pierre Lacroix, président de MCG Managers et vice-président de France Transitions. En termes d’âge, s’ils furent longtemps des managers en fin de carrière, c’est de moins en moins le cas : « les plus de 60 ans cèdent la place aux 45-50 ans, une population qui souhaite davantage donner un sens à son travail et exercer des missions concrètes dégagées de tout impératif de carrière ».
Pour les managers de transition qui en font leur principale activité, « ils sont pour la plupart passé d’une logique de statut à une logique de contribution avec un goût prononcé pour le challenge », note Benoit Durand-Tisnes. C’est le cas de Daniel Immacolato. Après une douzaine d’années passées à des postes de direction de production, de la logistique, d’usines puis du marketing et de l’export pour le groupe américain d’agroalimentaire Mars et le géant du luxe LVMH, ce manager suractif, qui s’est lancé dans des projets personnels notamment dans le vin, se laisse convaincre en 2007 pour mener des missions de transition dans l’industrie fromagère. « Je me suis rendu compte que j’adorais faire cela. C’est le côté adrénaline, c’est certain, mais aussi tout le travail qu’il faut mettre en œuvre pour mobiliser l’intelligence collective dans des situations complexes. Le temps court lié à ce type de mission qui est dégagé de tout enjeu de politique interne est souvent un accélérateur pour révéler les talents et pas seulement en première ligne ». Cette liberté d’agir comme catalyseur de la mobilisation des équipes est souvent mis en avant par les managers de transition. « On s’autorise à dire des choses notamment à l’actionnaire qu’on ne s’autoriserait pas forcément si on était en CDI », estime Daniel Immacolato.
« Contrairement à un consultant, le manager de transition construit avec les équipes pour des résultats concrets »
Après 35 ans de direction commerciale et marketing puis de direction générale dans de grands groupes internationaux (Honeywell, Texas Instruments, Siemens, Continental) mais aussi dans des entreprises familiales plus petites, Serge Bonnel, 59 ans, souligne pour sa part que « l’expérience et la diversité du parcours professionnel du manager de transition sont essentielles pour appréhender rapidement une situation et décider des priorités à mener. Il faut être capable de faire bouger les choses rapidement. Pour cela, une communication franche et directe avec le client est indispensable ». Si tel est le cas, la mission peut apporter de nombreuses satisfactions, estime Serge Bonnel : « on découvre à chaque fois quelque chose de nouveau, on a un challenge cadré avec des attendus clairs et on travaille pour obtenir un impact tangible et rapide pour l’entreprise ».
Aux termes de sa mission, le manager de transition doit aussi avoir la capacité d’assurer une sorte d’après-vente pour sécuriser l’arrivée du manager qui intégrera la société pour lui succéder. « Dans la mesure du possible, j’essaie d’instaurer un jeu de rôle avec le nouveau manager », confie Daniel Immacolato, « dans le même bureau que moi pendant 15 jours, il écoute et observe ce que je fais. Puis les 15 jours suivants, c’est l’inverse. Je peux ainsi lui donner mes impressions mais aussi les retours de l’équipe ». En somme, comme le rappelle Benoit Durand-Tisnes, les qualités techniques et fonctionnelles ne suffisent pas, « la vraie qualité du manager de transition est de savoir gérer les soft skills : être flexible, pragmatique, concret, orienté business et résultat avec une capacité à comprendre rapidement le contexte dans lequel il se trouve ».
Cependant, le statut de manager de transition n’est pas sans inconvénients. Sa précarité (rechercher à chaque fois une nouvelle mission), sa dimension chronophage (une bonne organisation personnelle et familiale s’impose) ou encore son insécurité juridique quand le mandat social est associé à la mission peuvent en rebuter plus d’un. « La mobilité est aussi un paramètre à prendre en compte », note Serge Bonnel qui en quatre quatre ans de management de transition à mener trois missions, la première en Mayenne, la seconde en Île-de-France et la troisième dans la région lyonnaise.
Enfin, le succès d’une mission de management de transition est aussi et avant tout suspendu à l’attitude de l’entreprise d’accueil. Sous-estimer les jeux de pouvoir interne, avoir du mal à confier les « secrets maison » à une personne de l’extérieur ou mal informer en interne sur les missions et l’arrivée du manager de transition peuvent ruiner une mission. « Sans compter qu’avec un manager de transition, il est plus facile en interne de jouer la montre si l’on est réticent à tel ou tel changement. C’est un peu la limite de l’exercice… », reconnait Serge Bonnel. « Il est important de bien sentir les choses et de poser les bonnes questions… la relation intuitu personae avec le client est essentielle avant de choisir une mission », prévient Daniel Immacolato. Le manager a d’ailleurs connu très peu de déconvenues. Un cas l’a cependant marqué : « après un gros travail de remise en ordre avec les équipes d’une coopérative, à la fin de ma mission un changement de gouvernance s’est soldé par un retour complet en arrière… un vrai gâchis ».