Le “prêt de salariés” toujours à la peine

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Le “prêt de salariés” toujours à la peine

23 novembre 2020

Réallouer la main-d'œuvre entre entreprises confrontées à des difficultés de recrutement et structures contraintes de mettre leurs salariés en activité partielle ? La formule est intéressante autant que parfaitement légale. Dans la pratique, elle demeure embryonnaire.

"Prêter mes collaborateurs à une autre entreprise ? Alors que j’ai eu tant de mal à les trouver ? Et puis quoi encore ?" Voilà sans doute la fin de non-recevoir qu’un dirigeant d’entreprise opposerait à qui tenterait de lui vanter le concept du "prêt de main d’œuvre". Le prêt de salarié est pourtant un dispositif on ne peut plus légal, porté par la Loi Cherpion du 28 juillet 2011.

De quoi s’agit-il ? Ni plus ni moins d’une forme de mécénat, permettant à une entreprise de mettre à disposition d'une autre l’un ou plusieurs de ses salariés, sans rupture ni suspension de contrat. Ce, sous seule réserve de trois conditions : l’accord du salarié prêté, qui signe un avenant à son contrat de travail avec son employeur ; la signature d’une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise hôte ; le but non lucratif de l’opération, qui oblige l’entreprise prêteuse à ne facturer à l’entreprise d’accueil que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels.

Voilà pour l’esprit. Qu’en est-il dans les faits ? Si l’absence de statistique empêche toute évaluation, il semble que la formule peine à trouver ses adeptes. Complexité administrative ? Difficulté pour les entreprises à se projeter de manière objective ? Poids d’une culture managériale française encre attachée à la figure du CDI plein temps mono-employeur ? 

Ajuster les effectifs aux carnets de commandes

Plusieurs offres de prestation se sont pourtant glissées dans la brèche OscaRH, Crafty, Flexjob, Mobiliwork : autant de plateformes en ligne visant à faciliter et à sécuriser la mise en relation d’entreprises dans une démarche de prêt de main d’œuvre. Leur ambition n’est pas tant de pousser cette pratique pour en faire un modèle dominant des organisations du travail que de proposer une alternative aux licenciements pour motif économique et de permettre aux entreprises d'ajuster temporairement leurs effectifs aux aléas sans couper de manière périlleuse le robinet de l'innovation et le potentiel de croissance.

"La formule présente un double intérêt. L’entreprise prêteuse peut adapter ses charges de personnel aux variations d’activité tout en préservant l’emploi, et offrir une mobilité sécurisée à ses salariés. L’entreprise hôte peut s’offrir les compétences d’un personnel qualifié, pour une durée liée à des besoins, à un coût inférieur aux tarifs des agences de travail temporaire, et sans avoir à créer de CDD", explique Jérôme Gonon, fondateur de Mobiliwork.

Expériences menées dans le secteur de la logistique

C’est ainsi pour ainsi répondre aux besoins d’emploi des entreprises du secteur logistique qu’Adecco a créé un réseau de “pôles de compétences partagées en logistique”. Objectif : créer sur un bassin d’emploi un vivier d’une centaine de CDI intérimaires (agents logistiques polyvalents, préparateurs de commandes, caristes, magasiniers, gestionnaires de flux, gestionnaires de commandes, chefs d’équipe…). Ce, pour répondre aux besoins spécifiques d’un noyau d’entreprises partenaires comme Amazon, La Redoute, La Poste…

Autre initiative, celle du Pôle d'Intelligence Logistique (Pil’es), dans le cadre de la démarche de Gestion Prévisionnelle des Emplois et compétences Territoriale Logistique en Nord-Isère et avec le soutien de l’État et de la Région Auvergne Rhône-Alpes : le lancement d’une “plateforme de mobilité interentreprises en logistique”. "L’idée est de faciliter la rencontre entre les offres d’emploi et les compétences des salariés engagés dans un parcours de mobilité professionnelle", explique Cécile Michaux, Déléguée générale du Pil’es.

Un récent assouplissement du cadre juridique du prêt de main d’œuvre suffira-t-il à amorcer un mouvement, même léger ? L'article 52 de la loi du 17 juin 2020 (no 2020-734) adapte jusqu'au 31 décembre 2020 certaines dispositions des articles L. 8241-1 et -2 du Code du travail. Mais comment parier sur un dispositif sensé prendre fin au 31 décembre 2020 quand aucun décret n’était encore publié en septembre ?Voilà donc un texte qui ne laissera ne donc sans doute qu’un goût d'inachevé, à l’image d’ailleurs de la précédente réforme du prêt de main-d'œuvre portée pat les ordonnances du 22 septembre 2017. En attendant, les besoins, eux, demeurent. Et l’hypothèse – plus que probable – d’une vague brutale et massive de cessation d’activités, avec procédures collectives à la clé pourrait redonner voix aux défenseurs du prêt de main d’œuvre.