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Où en est le dialogue social, en France, à l’heure du digital ? L’institut Sapiens a présenté le résultat d’une vaste étude sur ce sujet, mercredi 5 décembre, en plein mouvement des "gilets jaunes". Après six mois d’auditions et d’enquête, le constat du think tank est sans appel : des plus contestataires aux plus constructifs, les syndicats français doivent évoluer sous peine de disparaître. L’étude note un désamour des citoyens pour ces corps intermédiaires dont les effectifs sont en recul constant depuis les années 80. Et une forte désaffection des salariés. Ainsi, selon un sondage Odoxa- Le Parisien paru en février 2016, 65% des Français ont une mauvaise opinion des organisations syndicales. Et 59% ne leur font pas confiance pour défendre les intérêts des salariés.
Cet affaiblissement va de pair avec leur mise à l’écart, de plus en plus fréquente, lors de manifestations d’ampleurs nationales. A ce titre, le mouvement des "gilets jaunes" est symptomatique de leur affaiblissement. Les citoyens rejettent les élites. Et, à leurs yeux, les syndicats en font désormais partie aux côtés des politiques et des journalistes.
Que s’est-il passé ? "Avec les réseaux sociaux, les citoyens ont aujourd’hui des porte-voix plus efficaces que les syndicats pour se faire entendre", explique Yann-Maël Larher, docteur en relations numériques de travail et co-auteur de l’étude avec Guillaume Brédon, avocat en droit social.
Le numérique a bel et bien changé la donne dans la société comme en entreprise où divers outils digitaux sont proposés pour écouter ou recueillir l’avis des salariés. Ainsi chez Alcatel-Lucent, le réseau social interne Engage propose un système de commentaires et de notation sous forme de j’aime/j’aime pas. Et l’adresse mail du directeur général a été communiquée à l’ensemble des collaborateurs.
De quoi contourner les syndicats ? "Les réseaux sociaux d’entreprise mettent le principe des communautés, du participatif et du collaboratif quasiment en compétition avec le travail d’intermédiation des syndicats entre salariés et direction", note Yann-Maël Larher.
Les centrales syndicales, structures historiques, semblent par ailleurs peu en phase avec les évolutions sociétales. Quid, par exemple, des travailleurs indépendants, de plus en plus nombreux, qu’elles délaissent, concentrant leurs efforts sur les publics salariés ? Enfin, côté communication, leurs membres privilégient encore largement les tracts et les rencontres physiques pour communiquer avec les salariés. La faute aux entreprises ? L’étude rappelle les réticences des directions à doter les syndicats de moyens de communication digitaux puissants. "Le dialogue social se réduit encore trop souvent à un jeu d’acteurs sclérosés. Peu d’entre elles considèrent en effet les syndicats comme de véritables "partenaires sociaux", commente Yann-Maël Larher.
Avec cette étude, l’institut Sapiens entend donc « réveiller » des syndicats peu conscients de jouer leur survie. Et convaincre les entreprises de moderniser leurs pratiques. "L’entreprise ne repose pas sur des principes démocratiques mais elle ne peut pas non plus être efficace et compétitive sans un dialogue de qualité entre actionnaires, directions et salariés. Ce dialogue, vecteur de cohésion interne et donc de productivité est nécessaire", insiste Yann-Maël Larher.
Mais comment moderniser le dialogue social en entreprise ? Le think tank multiplie les propositions dans trois directions. La première consiste à favoriser, dans un cadre régulé, l’émergence de nouvelles formes d’expression.
La deuxième prône la fin du monopole syndical au 1er tour des élections professionnelles. Instauré en 1946, il interdit en effet à un salarié de pouvoir se présenter en dehors de toute organisation syndicale. « Il est peu en phase avec l’appétence des citoyens et des salariés pour la démocratie directe », note l’étude. L’institut Sapiens souhaite également réformer le financement des syndicats, jugé "très opaque" par de nombreux rapports d’observateurs. "Il doit être repensé et basé sur la performance. La mise en place d’un chèque syndical, venant en remplacement du financement public actuel permettrait à chaque actif de choisir le syndicat, l’association ou la structure à laquelle il souhaite adhérer. Les syndicats directement financés par les salariés seraient contraints de rendre des comptes à leurs adhérents", expliquent les auteurs de l’étude. Pour trouver un second souffle, les syndicats auraient également tout intérêt à se former au numérique. Le simple fait de dématérialiser les réunions internes leur permettrait de toucher un plus grand nombre de salariés.
Enfin, l’institut Sapiens préconise l’adoption d’un syndicalisme de service plus "à la carte" comme c’est le cas dans les pays nordiques. Ses missions concerneraient la formation professionnelle des actifs ou l’accompagnement des salariés dont le métier est menacé par la révolution digitale. "Les structures syndicales représentatives seraient bien plus efficaces si elles se focalisaient sur la défense des salariés et non sur la défense des emplois", indiquent les auteurs. Au final, l’Institut Sapiens en appelle à des évolutions législatives et culturelles importantes. Le débat est ouvert.