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Souvent présenté comme une “spécialité” française, le phénomène des emplois non pourvus traverse en réalité une bonne partie des économies traditionnelles de marché. Selon le cabinet de recrutement Hays, il existe ainsi en Europe un réel parallélisme entre indicateurs rallumés au vert, augmentation du nombre de postes vacants ouverts et intensification d’un chômage de longue durée. Les emplois non pourvus seraient donc la faute à… la croissance. Un chaînage contrintuitif qui soulève partout la même question : celle de l’adéquation des compétences à l’économie. "L’inadéquation entre offre et demande ne fera que s’accentuer. Nous sommes à un carrefour critique et devons tenter de résoudre la crise des compétences au plus vite", affirme Alistair Cox, PDG de Hays.
Les études menées dans ce sens ne manquent pas. Auteur d’un rapport de référence sur les métiers de demain, le sénateur Alain Fouché estime qu’un à deux tiers des écoliers d’aujourd’hui occuperont des emplois qui n’existent pas encore à ce jour. Le cabinet McKinsey Global Institute projette pour sa part qu’en 2020, sans action volontariste, 2,3 millions d’actifs non qualifiés se trouveront sans emploi en France, tandis que 2,2 millions d’emplois exigeant au minimum un niveau Bac ne seront pas pourvus.
Bref, le phénomène des emplois non pourvus, que la chronique médiatique semble chaque année découvrir avec stupeur, pourrait bien avoir réussi à se calcifier comme un pilier structurant de notre système d’emploi. D’où l’urgence accrue à s’attaquer de manière volontaire et frontale au principal ferment du phénomène : la formation.
Formation initiale bien sûr. "Le schéma d’un travail linéaire, qui serait l’aboutissement logique d’une formation, est encore très prégnante dans les représentations collectives. Pourtant, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la rapidité d’impact du digital sur les activités, le processus d’obsolescence des formations initiales s’accélère à vitesse grand V", constate Sabine Lochmann, présidente du directoire de BPI Group.
Mais aussi – et au moins autant – formation professionnelle. En France, 34 % des ouvriers ont accès à la formation professionnelle. Chez les cadres, ce ratio est doublé. De même, les salariés de TPE ont deux fois moins de chance d’être formés que ceux des entreprises de plus de 250 salariés (35 % contre 62 %).
Le constat est aujourd’hui très largement partagé : la formation tout au long de la vie ne doit plus s’apparenter à un droit formel dont un salarié sur deux ne profite pas, à commencer par ceux qui en ont le plus besoin. Elle doit devenir un droit réel, seul véritable levier de sécurisation des parcours professionnels et d’adaptation aux évolutions du monde économique. Des actions significatives ont été engagées dans ce sens par les pouvoirs publics ces derniers mois. Il faudra donc en surveiller les effets. Est-ce de bon augure : l’OCDE considère qu’à horizon 2060 la formation continue représentera jusqu’à 10% du temps de travail des actifs.
Mais pour être efficiente, la souplesse du système de formation appelle également un assouplissement des formes statutaires d’emploi. Slasheurs, auto-entrepreneurs, managers de transition, salariés-entrepreneurs… Ces nouvelles figures professionnelles traduisent toutes une hybridation de l’emploi, tant dans la nature des activités exercées que dans les statuts ou les types de contrat en jeu. Et toutes viennent titiller les deux piliers emblématiques de l’emploi en France : le salariat et le CDI. «Nous n’assistons pas tant à une crise de l’emploi qu’à une révolution du travail. Un travail de plus en plus valorisé à la tâche, au résultat et de moins en moins au temps passé. Le travail de l’artisan en quelque sorte», insiste Denis Pennel, directeur général de la Confédération mondiale des services privés pour l’emploi (Ciett).
Enfin, rien ne se fera sans une prise de conscience des entreprises elles-mêmes. Revendiquer haut et fort la valorisation des compétences dans les processus de recrutement et de gestion des parcours est une chose, travailler sur l’attractivité des emplois en est une autre. "La vraie question est celle de la qualité des emplois. L’existence d’offres non pourvues – dont 87% ont suscité des candidatures – indique que les demandeurs d’emploi ne sont pas tous réduits à travailler dans n’importe quelles conditions", rappelle Hadrien Clouet, Doctorant au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po.