Le diplôme à l’épreuve

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Le diplôme à l’épreuve

27 janvier 2021

Régulièrement, on annonce sa mort. Un peu vite, semble-t-il. Car jamais le diplôme n’a tenu une telle place dans le système d’emploi. Il n’empêche, entre la montée en puissance des compétences et un marché du travail en transformation, le bon vieux parchemin devra bien un jour revoir sa copie.

Le diplôme ? Une relique barbare“. En juillet 2019, Olivier Babeau, patron du très libéral Institut Sapiens, dénonçait ainsi dans une tribune publiée aux Échos l’indécrottable centralité du “parchemin” dans le système éducatif et professionnel. “Relique barbare”, rien que ça. Sciemment provocatrice, la formule emprunte à Keynes, qui s’était en ces termes attaqué la valeur de l’or.

La stigmatisation du diplôme n’est pas nouvelle. On le dit obsolète, inapte à capter les transformations de la société et les mutations du travail. Pourtant, il résiste. Plus que cela même. En trente ans, nous dit l’Insee, le nombre de diplômes de l’enseignement supérieur a plus que doublé dans l’Hexagone. France Stratégie estime pour sa part que 12,5 millions d’actifs pourraient être diplômés du supérieur en 2030, soit 15% de plus qu’en 2018. Étrange société qui compte encore 1,3 millions de personnes sans aucune qualification et où la part de diplômés du supérieur dans la population active pourrait atteindre 48 % dans dix ans, contre… 14% en 1986.

De plus en plus de lauréats (88,2% pour le bac général en 2019 !), et un catalogue de diplômes qui ne cesse de s’étoffer au fil de réformes régulières. "La multiplication des diplômes, tant par la spécialité que par le niveau, a rendu le paysage illisible. Il y a là un échec institutionnel collectif. C’est d’autant plus dommageable que cette inflation n’est pas motivée par l’utilité, mais par des rapports de force entre acteurs économiques et partenaires sociaux", lâche Françoise Kogut-Kubiat, Chargée de mission Certifications et politiques éducatives au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq).

Rite initiatique de cooptation sociale

Rendons tout de même au diplôme sa vertu fondatrice. Ciment de la charpente républicaine, il s’est imposé comme un rite initiatique de cooptation sociale, consacrant l’instruction et le mérite sur les ruines d’un système aristocratique profondément inégalitaire. Peu à peu il a pris une valeur transactionnelle de plus en plus discriminante dans l’accès à l’emploi, notamment sur le marché de l’emploi cadre. « Dans une période pas si éloignée, l’accès aux fonctions cadres se faisait directement au niveau Bac+3-4. Aujourd’hui, 12 mois après la fin de leur formation, 62% des niveaux Master (bac+5) en emploi occupent des postes cadres, contre seulement 15% des niveaux bac+3 et 4 », note Pierre Lamblin, directeur des études de l’APEC.

Si toutes les études convergent pour rappeler que le diplôme reste le meilleur sésame pour l’emploi, il semble pourtant que cette fonction protectrice connaisse de premiers signes d’émoussement. Face au risque de chômage, beaucoup de jeunes ont allongé leurs études pour retarder leur entrée dans la vie active. Résultat : une concurrence accrue à l’entrée du marché du travail et ce, à tous les niveaux de diplôme. Parallèlement, la structure de l’emploi ne permet plus d’absorber l’afflux de diplômés du supérieur, qui se reportent de facto sur des emplois moins qualifiés, évinçant ainsi les moins diplômés. A quoi s’ajoute un biais spécifiquement français : à postes constants, la plupart des employeurs préférera des profils plus diplômés (bacs professionnels plutôt que CAP, licence professionnelle plutôt que BTS ou un DUT). Conséquence : un déclassement généralisé des diplômes, dont seul le haut du panier sort épargné. Et en France, le haut du panier se recrute plutôt hors université, dans les grandes écoles. « En 2019, la part des diplômés ayant trouvé leur premier emploi avant même leur sortie d’une grande école était à son niveau le plus haut de la décennie, avec 65,2 %, soit 3 points de plus qu’en 2018 », confirme Frank Bournois, président d’ESCP Business School et président de la commission formation de la Conférence des grandes écoles.

Après trente ans, le diplôme n’est plus un viatique

Valeur étalon du marché de l’emploi en début de carrière, le diplôme perd de sa superbe avec le déroulement des parcours professionnels. "On peut considérer qu’au-delà de la trentaine – ce qui correspond en moyenne au troisième poste et à une éligibilité au statu de haut potentiel – le diplôme n’est plus un viatique", note Frank Bournois.

A un certain niveau de management, le critère diplôme sort très franchement des radars au profit d’un nouveau bouquet d’exigences : réalisation d’objectifs, potentiels d’évolution, compétences. Compétences : le mot est lâché. Non seulement elles constituent, à la faveur des “blocs de compétences”, les éléments porteurs du nouveau système de diplomation, mais elles sédimentent le corpus de référence de DRH en attente de fortes dispositions comportementales. Alors, ces fameuses compétences seraient-elles en train de fissurer le potentat du diplôme ? Pas encore gagné, loin de là… « Les soft skills prennent une place de choix dans les arbitrages des entreprises. Seulement voilà : plus ils monteront en puissance, plus on aura besoin de normes, d’échelles référentes de lecture, donc de diplômes, de mentions, de titres », note Axèle Lofficial, directrice Talent et Développement de BPI Group. Bref, le diplôme n’est pas encore mort, il a même sans doute encore de très beaux jours devant lui.