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Dans la prise de conscience par les entreprises de leur impact sur le climat, le concept de compensation carbone s’est imposé ces vingt dernières années. Il est devenu pour certains l’alpha et l’omega de la lutte contre les émissions de gaz à effets de serre. Le principe de cet outil est de compenser ses émissions de CO2 par le financement de projets de réduction d'autres émissions ou de séquestration de carbone. Ce sont les fameux "crédits carbone" développés par le protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005. Une démarche toutefois qui n’est pas exempt de critiques. Nombreux sont ceux qui y voient en effet un moyen de se donner bonne conscience sans vraiment changer ses pratiques et sans être assuré de l’efficacité réelle de la compensation ainsi financée.
Depuis une douzaine d’années, une autre voie existe pour les entreprises qui souhaitent aller plus loin. C’est l’Insetting. Cette méthode consiste à compenser les émissions carbonées d’une entreprise en agissant directement sur sa propre chaîne de création de valeur. "Contrairement aux projets de Carbon-Offsetting, l’Insetting permet de prévenir, de réduire ou d’isoler les émissions dans la chaîne de valorisation en amont ou en aval de sa propre entreprise et au sein des communautés et écosystèmes dont elle dépend", explique Yonas Fall, directeur des opérations de Pur Projet, société fondée par Tristan Lecomte et initiateur du concept de l’Insetting. Pour sa mise en œuvre, Pur Projet s’est notamment spécialisé dans l’agroforesterie et l’amélioration des pratiques agricoles afin de régénérer les sols, les cours d'eau et la biodiversité à l'échelle d’un territoire. En l’occurrence, celui des communautés agricoles avec lesquelles travaillent ses clients, des entreprises notamment agro-alimentaires mais aussi de l’univers des cosmétiques et de la mode.
Pour l’heure, la pratique de l’Insetting reste certes encore marginale. Pur Projet conseille toute de même une dizaine d’entreprises engagées dans ce processus dont de grandes multinationales comme Nespresso. "En 7 ans, Nespresso a planté quelque 3,5 millions d’arbres au sein de ses communautés de producteurs de café et vise les 10 millions à terme", avance Yonas Fall. La clé du succès de ce type de démarche est de convaincre et embarquer les agriculteurs dans le projet. "Il y a un gros travail de socialisation localement au début de chaque projet. Avant toute chose, il est impératif d’identifier les besoins des producteurs (fertilité des sols, manque d’eau, besoin d’ombrage…) pour trouver la solution la plus adaptée et faire ainsi en sorte que l’arbre réponde concrètement à leurs besoins", note le directeur des opérations de Pur Projet dont l’équipe a pu ainsi démontrer à une communauté de producteurs de café en Colombie l’intérêt de planter des arbres autour de leurs champs afin de réduire les effets du réchauffement climatique qui tend à faire remonter en altitude les zones de production.
Mais avant de lancer concrètement un projet sur le terrain, encore faut-il surmonter quelques obstacles, côté entreprise. "Le premier est déjà de faire prendre conscience à l’entreprise qu’elle peut avoir un réel impact à l’autre bout du monde. Un autre obstacle de taille est d’identifier ses impacts tout au long de sa chaîne d’approvisionnement. Or, certaines entreprises n’ont pas de traçabilité complète de leurs produits, notamment alimentaires, qui passent par de nombreux intermédiaires. Enfin, le dernier obstacle est celui de l’investissement pour mettre en place des initiatives réellement ambitieuses. Cela peut nécessiter de mobiliser des millions d’euros sur plusieurs années".
Côté méthode, la première chose à faire est donc de réaliser un audit des matières premières achetées par l’entreprise. À partir de là, est établi un mapping des chaînes d’approvisionnement. Pur Projet se concentre en l’espèce sur la phase aval de cette chaîne et spécifiquement donc sur le monde agricole dont ses clients dépendent. Sont ainsi identifiés les impacts les moins durables : monoculture intensive, déforestation, pression sur les ressources en eau, émissions de CO2 liées à l’utilisation de pesticides et d’engrais… "Une fois ce constat fait, en étroite collaboration avec le département développement durable ou achat de l’entreprise, nous identifions les partenaires locaux avec lesquels peut être mener un projet", détaille Yonas Fall. "Notre apport au niveau technique (plantations autour ou à l’intérieur de la parcelle, monitoring des arbres plantés…) s’inscrit dans une stratégie à long terme", ajoute le directeur des opérations de Pur Projet, "nous pouvons conseiller par exemple des espèces fruitières ou une activité de coupe de bois durable pour apporter des revenus additionnels à la communauté ou les assister en matière de propriété foncière en aidant à la reconnaissance du droit coutumier sur des terres, dans des régions où souvent il n’y a pas de cadastre". En fait, pour une entreprise engagée dans un processus d’Insetting, les avantages sont multiples : sécuriser ses filières et son approvisionnement, maîtriser son empreinte environnementale, préserver les ressources alimentant leurs filières de production, mais aussi renforcer ses valeurs et la mobilisation de ses collaborateurs, ajouter de la valeur à ses produits et impliquer les consommateurs et les partenaires. Pour autant, de nombreuses entreprises jouent encore la carte de la facilité en lançant de simples programmes de plantation d’arbres sans chercher à modifier en profondeur leur impact sur l’environnement. "Pour certaines, c’est parfois l’occasion de faire un premier pas avant d’aller plus avant", estime, optimiste, Yonas Fall.