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Cet article, rédigé pour le compte du magazine interne de Vinci, a été adapté en vue de sa publication sur le média OCM.
Navets, betteraves, poivrons, oignons… les plateaux de semis qui couvrent le sol de la grande serre commencent à laisser poindre les premières pousses. En cette fin d’hiver, le Jardin maraîcher du Beaunois entre dans sa phase la plus active. Occupant un délaissé autoroutier sur l’aire du Loiret entre Montargis et Pithiviers, cette ferme de 5 hectares pour le moins insolite ne se contente pas de produire quelque 120 tonnes de légumes biologiques par an distribués par paniers à 800 adhérents, elle est aussi et surtout un lieu d’insertion. Ici, des hommes et des femmes, parfois en grande difficulté, retrouvent le chemin de l’emploi. « Bien souvent victimes d’une ruralité sinistrée, les gens que nous accueillons via une plateforme de l’inclusion animée par les acteurs sociaux locaux (CCAS, Pôle emploi, missions locales…) s’engagent pour travailler dans le maraîchage et se construire un projet professionnel. Souffrant d’isolement, en situation parfois de renoncement, une fois ici, ces personnes se métamorphosent en quelques semaines : on le voit sur leur visage, dans leur regard. Le maraîchage biologique, le travail de la terre, sont gratifiants et restructurants. Ce sont des machines à produire de la satisfaction », lance Timothée Huck, directeur des Jardins de la voie romaine.
« Certes, je gagne moins mais ma qualité de vie est incomparable et mon travail a du sens. Quand un ancien salarié en insertion vient vous voir et vous dit : tu as changé ma vie… ça marque ! ».
Cette association, créée en 2010 à l’initiative du réseau des Jardins de Cocagne et du Groupe VINCI, compte aujourd’hui trois autres lieux d’insertion dans le nord Loiret : la Roseraie de Morailles (maraîchage biologique, horticulture, café et boutique de légumes bio et de produits locaux), le Domaine de Flotin (maison de la biodiversité, production de semences potagères, jardins de simples et d’aromatiques) et le Relais des trois écluses (boutique de produits locaux, café associatif, gîte d’étape, micro-brasserie, jardin potager). Aujourd’hui, sur ses quatre sites, les Jardins de la voie romaine emploient 82 salariés, 22 permanents et 60 en insertion, ces derniers restent en moyenne 13 mois au sein de l’association. « Nous veillons à ce que les salariés en insertion soient de tous âges et aient des problématiques différentes, qu’elles soient d’ordre familiales, de santé ou d’addiction. La diversité des profils est en effet essentielle à la réussite du projet », souligne Timothée Huck. Et la réussite est bien au rendez-vous : en 2021, l’association a affiché 75% de retours à l’emploi ou d’entrée en formation. Un record par rapport aux 60% jusqu’alors obtenus et qui déjà dépassaient largement la moyenne nationale (50%). Depuis 2010, les Jardins de la voie romaine ont ainsi accompagné quelque 300 personnes en difficulté.
Le cas d’Angélique, 33 ans, est un exemple de réussite de ces parcours d’accès à l’emploi. « Après un BEP Comptabilité, j’ai tout arrêté au moment de ma première maternité. J’ai eu quatre enfants. Puis à un moment, j’ai souhaité aussi me voir autrement que comme maman. J’ai donc décidé de chercher un emploi. Mais après toutes ces années, je me sentais désarmée dans le monde du travail. Mon auxiliaire Pôle emploi m’a parlé de l’association des Jardins de la voie romaine et du site de Beaune où j’ai commencé à faire du maraîchage à l’été 2020. Là-bas, j’ai vite retrouvé confiance en moi et aussi aux autres. J’ai découvert les saisons, les légumes, la cuisine… Les Jardins, c’est un bol d’oxygène. Et puis j’ai pu travailler sur un projet professionnel, ce dont j’avais toujours rêvé ». En mars 2021, Angélique rejoint le Domaine de Flotin pour y faire un stage de comptabilité dans la perspective de chercher ensuite un emploi. Ce dernier lui sera proposé par… Timothée Huck : « nous avions besoin de quelqu’un à la compta, c’était une évidence pour nous de proposer ce poste à Angélique ». Actuellement en CDD, Angélique compte bien devenir salariée permanente de l’association.
L’équipe de permanents qu’Angélique vient d’intégrer est composée de profils plus classiques par rapport à ceux des salariés en insertion, mais ils sont aussi atypiques dans leur genre. Telle Marine, 34 ans, responsable administrative et financière de l’association depuis début 2021 et précédemment chargée du juridique et de l’institutionnel au sein du Groupe 1981 basé à Orléans (radios Latina, Oui FM, Voltage…). « Avec le COVID, je me suis aperçue que je n’avais pas de vie. En déplacement permanent, je n’étais jamais chez moi. Le fait d’être enceinte à cette époque a aussi remis en question mes objectifs de vie ». Marine quitte son poste pour chercher un emploi dans l’économie sociale et solidaire. Ce seront donc les Jardins de la voie romaine. « J’ai trouvé là un travail ultra local, très social et où le bien-être humain est au centre. On décide tout ensemble, on n’impose rien à personne. Et puis j’ai à nouveau une vie personnelle, du temps pour moi ».
Maxime, 38 ans, directeur adjoint de l’association en charge du Jardin du Beaunois, a suivi un parcours finalement assez semblable à celui de Marine. Il a longtemps été directeur d’un magasin Intersport à Nemours : « ce projet professionnel essentiellement tourné vers la rentabilité ne me satisfaisait pas. Avec le Covid, pendant 6 semaines, j’ai retrouvé mes enfants de 3 et 5 ans. J’ai alors pris conscience que je devais changer de voie. Aujourd’hui, certes je gagne moins mais ma qualité de vie est incomparable et mon travail a du sens. Quand un ancien salarié en insertion vient vous voir et vous dit : tu as changé ma vie… ça marque ! ».
Pierre-Antoine, 33 ans, encadrant technique au Domaine du Flotin, ne se voyait pas quant à lui travailler dans un bureau. Après un an en Afrique où il fait de la photo, de retour en France il travaille pour les Jardins de Cocagne puis Cocopelli, une association de semences paysannes. « Avec les Jardins de la voie romaine que j’ai rejoint en 2018, j’ai pu concilier ma passion des semences et une action sociale concrète. Le travail de la terre est très enrichissant et valorisant : ici, parfois pour la première fois de leur vie, les salariés en transition réalisent quelque chose de A à Z ».
« Dans les territoires délaissés, il faut des espaces pour créer quelque chose de nouveau où l’immatériel - l’entraide, la fraternité - prenne toute sa place et soit aussi valorisé ».
Depuis bientôt douze ans que le Jardin du Beaunois a été créé entre une aire de services et une bretelle d’accès de l’A19 alors en construction, le projet a désormais une tout autre envergure. « Monter un tel projet n’était pas facile dans un département très rural où les relais publics en charge de l’action sociale sont peu présents », rappelle Timothée Huck, « mais nous avons eu la chance de bénéficier de l’appui de personnes qui ont cru en nous, à commencer par les dirigeants et les salariés de VINCI Autoroutes, qui étaient en train de s’inscrire comme nous dans le territoire avec la mise en service de l’autoroute ». Aujourd’hui à la tête d’une société à l’équilibre depuis 2015, l’entrepreneur social compte bien lui donner une nouvelle dimension. « Deux autres projets sont en cours dans la région, à Greneville-en-Beauce avec la Café de l’espérance et à l’ancienne usine élévatoire de Faye-aux-Loges. Ces tiers lieux ouverts au public ont vocation à développer l’offre d’insertion professionnelle et le maillage de circuits courts pour l’agriculture locale en devenant de mini-plateformes logistiques », explique Timothée Huck. Son ambition est de développer, à travers ces lieux, un projet de territoire destiné à multiplier l’offre d’insertion professionnelle, à recréer des lieux de vie où les habitants peuvent reprendre la main sur leur espace local et à installer un nouveau mode de distribution via une organisation décentralisée.
« Ce projet de territoire, lancé en 2019, a été possible grâce au soutien de VINCI Autoroutes et de la Fondation VINCI qui nous ont fait confiance en nous apportant 400 000 euros. Cela nous a permis de lever 1 million auprès des pouvoirs publics et ainsi de démarrer ce maillage territorial de tiers lieux, acteurs de la transition écologique et sociale », confie Timothée Huck qui vise à terme une quinzaine de sites dans la région. « Dans ce projet de territoire que nous construisons progressivement, nous sommes de plus en plus soutenus par les élus et nos partenaires des collectivités, dont le regard sur l’insertion par l’activité économique a changé ». Timothée Huck croit résolument en de nouvelles formes de développement au travers d’écosystèmes coopératifs territorialisés. « Dans les territoires délaissés, il faut des espaces pour créer quelque chose de nouveau où l’immatériel - l’entraide, la fraternité - prenne toute sa place et soit aussi valorisé ».