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Cela peut paraître paradoxal. Tout le monde ou presque a accès à l’internet, 9 Français sur 10 disposent d’un des appareils permettant de se connecter, les 3/4 de la population utilisent quotidiennement le réseau pour chercher une information, envoyer un message, consulter le compte bancaire ou encore aller sur Facebook, Twitter, Instagram et autres réseaux sociaux selon l’étude réalisée par CSA pour le syndicat de la presse sociale.
Et pourtant, cette abondance d’écrans est doublée d’une fracture numérique qui a été particulièrement mise en lumière lors du confinement lié à la crise sanitaire au printemps 2020. Du côté de la société civile, avec les élèves décrocheurs qui n’ont pas suivi les cours à distance, mais aussi dans le monde du travail devenu brusquement celui du télétravail pour ceux qui en avaient les moyens.
On parle peu de fracture numérique dans l’entreprise, celle-ci étant supposée être globalement engagée, ou en passe de l’être, dans la « transformation numérique ». Mais qu’on la qualifie d’illectronisme, d’illettrisme numérique ou encore de fracture, elle traduit une situation de non maîtrise des nouveaux outils pour reprendre la définition qu’en donne Elie Maroun, chargé de ce dossier à l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI).
L’outil est la partie émergée de l’iceberg. C’est par l’application, le logiciel, que le salarié est prié de décliner ses compétences numériques. Dans le CV comme dans la fiche de poste il va s’agir de « maîtriser » les outils de bureautique comme Word et Excel, de communication, les outils de partage comme Dropbox, de réunion à distance comme Zoom, de gestion de projet comme Asana, les réseaux sociaux et bien d’autres.
Pour une part, le décrochage d’une partie des collaborateurs s’explique par la surmultiplication des outils et par la vitesse à laquelle ils apparaissent, s’imposent, évoluent et sont remplacés estime Cedric Deniaud, expert en transformation numérique. Mais la question n’est pas de suivre cette course folle et de maîtriser tous les outils prévient-il. « Il ne faut pas se tromper d’objectif, l’enjeu c’est l’intégration culturelle du salarié dans l’entreprise confrontée à la transformation numérique de ses process, de ses méthodes. » Il s’agit moins de le former à un logiciel que de lui donner accès à la compréhension globale de la place du numérique dans l’entreprise. Sans cette vision inclusive qui lui permettra de se situer dans la stratégie digitale de l’entreprise, le salarié va pouvoir douter de sa capacité à mettre à jour ses compétences dans un univers peuplé de « buzzwords » -big data, IoT, IA, machine learning etc..- et marqué par une accélération permanente. Considérant que le combat est perdu d’avance, il pourra alors être tenté de se retirer du jeu.
A ces abandonistes s’ajoute une catégorie d’exclus, celles et ceux qui ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture, car l’illétrisme et l’illectronisme se recoupent rappelle l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI).
L’illectronisme vient renforcer l’isolement des 2,5 millions de Français en âge de travailler concernés par l’illettrisme, soit 7 % de la population, dont la moitié est en situation d'emploi. Pour comprendre cette situation, il faut garder en tête que 99 % des contenus des sites sont des textes.
Dans l’entreprise, et notamment dans les premiers niveaux de qualification, on voit arriver les problèmes liés à l’arrivée du numérique basique. Une aide à domicile va ainsi se trouver en difficulté avec les compétences de base parce qu’on lui demande désormais d’enregistrer les données d’une visite sur son téléphone avant de les transmettre au centre. Le secteur du bâtiment est aussi concerné. Des ouvriers non formés au numérique peuvent se voir demander d’utiliser un agenda électronique, des outils comme les QR-codes ou encore de photographier un élément du chantier pour l’envoyer au bureau via un smartphone.
L’illectronisme touche tous les secteurs mais aussi toutes les catégories de la population indique l’étude de la presse sociale. Globalement, une personne sur cinq est concernée : 20 % des CSP+, les femmes (18%) comme les hommes (19%) les habitants de la région parisienne comme ceux des autres régions et des communes rurales. Plus étonnant, les « digital natives », les moins de 35 ans, sont concernés. 21 % d’entre eux sont des abandonnistes.
Un constat qui vient relativiser l’idée généralement admise que les jeunes collaborateurs, « nés dans le numérique » sont comme des poissons dans l’eau dans le digital.
En fait, ces jeunes abandonnistes peuvent être à l’aise sur les réseaux sociaux tout en étant en difficulté pour rechercher un emploi sur le web, faire une déclaration d’impôts ou se servir au travail des outils de bureautique comme Word ou Excel.
Davantage que la maîtrise de quelques outils, la question qui se pose pour tout un chacun dans son milieu de travail est celle de l’acculturation affirme Cedric Deniaud. La transformation numérique va toucher tous les aspects de l’entreprise, ses métiers, ses process, son modèle économique bien souvent et, au final, sa culture. C’est de là qu’il faut partir, la technologie et les questions de formation viennent après.
Pour la cohésion de l’entreprise en voie de
numérisation, il est essentiel de veiller à l’inclusion de tous en accompagnant
notamment les plus réfractaires, ou les plus démunis. Les managers
intermédiaires ont un rôle clé dans ce travail. Malheureusement, déplore Cédric
Deniaud, ils rechignent souvent à investir ce terrain de formation par souci de
tenir leurs objectifs de productivité.
Certaines entreprises pratiquent le « reverse mentoring » ou mentorat
inversé, qui permet aux plus jeunes, à l’aise avec le numérique, de faire
découvrir les outils qu’ils connaissent comme les réseaux sociaux aux plus
anciens. En retour, ces derniers peuvent aider leurs jeunes mentors à prendre
en main les outils bureautiques et à travailler les compétences métiers.
La transversalité et la collaboration entre des salariés de services et de statuts différents sont déjà une façon d’entrer dans la culture du numérique dans la mesure où celle-ci efface le travail en silos.
A cet égard, il peut être intéressant pour aider à réduire la facture numérique d’accepter, voire de favoriser les passerelles entre les pratiques personnelles familières -Instagram, groupes WhatsApp, You YouTube par exemple- et les outils du SI (système d'information) de l’entreprise. Le surgissement du télétravail pour répondre à la crise du Coronavirus a mis en évidence cette porosité entre pro et perso qui a pu parfois accélérer l’acclimatation au bain numérique de l'entreprise.
ANLCI: http://www.anlci.gouv.fr/