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La pandémie a donné lieu à une crise inédite, un “fait social total” qui, nonobstant sa dimension meurtrière, a mis à l’épreuve les modèles et organisations en place partout dans le monde. L’incroyable écho rencontré par l’expression “monde d’après” pour qualifier la puissance “rupturiste” du phénomène, résume à lui seul l’ampleur symbolique du choc.
Pourtant, ce “monde d’après” ne sera pas seulement un monde post-Covid-19. Nos sociétés vont devoir absorber des défis pluriels, portés par des phénomènes majeurs et parfois concomitants, avec des effets d’imbrication et de rebond de plus en plus avérés. Nous sommes entrés dans l’ère du risque, dans l’ère des risques majeurs.
Risque, risques majeurs : de quoi parle-ton précisément ? Petits éléments de définition. Le risque est la rencontre, en un même lieu, d’un aléa (c’est-à-dire d’une possibilité d’apparition d’un événement) avec des enjeux (à savoir de dommages causés par cet événement aux personnes et aux biens). Un risque majeur traduit la confrontation d’un aléa et d’enjeux suffisamment importants pour dépasser les capacités de réaction de la société. Il se caractérise par deux marqueurs : une faible fréquence et une grande gravité.
On distingue quatre familles de risques majeurs : les risques naturels (inondation, séisme, tempête, cyclone, mouvement de terrain, avalanche, feu de forêt, volcanisme), les risques technologiques (accident industriel, accident nucléaire, transport de matière dangereuse, rupture de barrage), les risques “humains” (terrorisme, conflits, défaillances et attaques informatiques), les risques sanitaires (épidémie, pandémie).
Les dernières décennies, a fortiori les dix dernières années, ont ouvert un champ particulièrement propice à l’expression de menaces de ce type. Certes, nos sociétés post-industrielles sont de mieux en mieux armées pour absorber les méga-chocs ponctuels et même les crises systémiques longues de type Covid-19. Il n’empêche, les épées de Damoclès pendues au-dessus de nos têtes se multiplient : risque cyber, accidents technologiques et menace terroriste, et, plus que tout, risques hydro-climatiques liés au réchauffement de la planète.
Le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNSDIR) a recensé en 2000 et 2019 quelque 6 300 catastrophes climatiques, soit près de deux fois plus que sur les deux décennies précédentes. L’impact économique de ces événements s’avère lui aussi de plus en plus lourd. L’ONU évalue le coût des catastrophes climatiques dans le monde pour la période 2000-2019 à 2 000 milliards de dollars, soit à peu près l’équivalent du montant affecté par l’Europe à la reconstruction post-Covid du continent pour la période 2021-2027.
Et que dire des risques encore très émergents comme la pollution aux nano-plastiques, ou le délitement des libertés sur l’autel de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies…
La notion de risques majeurs a été introduite en France il y a plus de quarante ans par Patrick Lagadec, directeur de recherche honoraire à École Polytechnique, consultant auprès de grandes entreprises et institutions et internationales. "Dans les années 60-70, l’industrie moderne, tant dans son échelle que dans sa complexité, nous avait obligés à sortir d’une vision classificatoire des risques. Les grands accidents de l’époque (Feyzin, Flixborough, Seveso, Three Mile Island) avaient montré que les risques débordaient de l'enceinte industrielle, pour poser des problèmes nouveaux en termes économiques, politiques, sociétaux", raconte celui qui est aujourd’hui encore l’un des spécialistes les plus reconnus de la gestion du risque et de la gestion de crise.
Puis dans des années 1980, les chocs ont donné lieu à des turbulences de plus en plus marquées, génératrices de fortes menaces de déstabilisations multiformes. Les attentats du 11 septembre 2001, crise financière de 2008, le dérèglement climatique, les nouvelles donnes géostratégiques, le déferlement de technologies de l'information et de la communication ont changé la donne. "Avec le XXIème siècle, nous sommes sortis de l'accidentel pour entrer dans le systémique, dans un état de crise sans fin, qui oblige à une tout autre approche des phénomènes, et à des pilotages radicalement nouveaux. La crise sanitaire est une parfaite illustration de cette mutation", poursuit Patrick Lagadec.
Au-delà de leur intensification, s’il est un facteur majeur d’évolution des risques majeurs, en France comme ailleurs, c’est, de fait, la forte consubstantialité entre événements de différente nature : risque climatique, risque naturel, risque industriel, risque politique… L’occupation des zones à risques au mépris du danger, la concentration des personnes et des biens dans les villes, l’impréparation des populations et, surtout, la dépendance à des réseaux dont l'interruption génère des conséquences en chaîne, tout est dans tout.
Cette interpénétration explique le coût grandissant des catastrophes dans les pays les plus riches et soulève avec une acuité inédite la question du financement des risques. En France, la branche dite CatNat (pour catastrophes naturelles) est pour la cinquième année consécutive déficitaire, avec 2,2 milliards d'euros de prestations versées pour 1,7 milliard d'euros de cotisations collectées.
Les vingt mois que nous venons de vivre sous le poids de la pandémie nous ont placés au cœur de ce que peut représenter un risque majeur, dans son imprévu, dans sa gestion et dans ses enjeux. Nous savons aujourd’hui que d’autres crises suivront. Le monde d’après est et sera, d’abord, celui des risques aussi majeurs qu’inédits.