Quand l’anthropologie facilite l’innovation

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Quand l’anthropologie facilite l’innovation

10 août 2022

L’enfer est pavé de nouveaux concepts qui n’ont pas trouvé leur public. Que proposent les anthropologues, ces universitaires qui permettent de réduire les incertitudes dans le processus d’innovation ?

Cela ne sert à rien d’avoir conçu le produit génial si ses usagers potentiels ne se l’approprient pas. Un marketing agressif ou un design révolutionnaire n’y peuvent rien.

Ce genre de déconvenues peut être évité en faisant appel à des anthropologues. Ils sont les plus à même d’identifier s’il existe bien un « terrain de jeu », à savoir si l’innovation répond bien à un problème. Grâce à l’observation, ils vont vérifier pourquoi et dans quelles conditions l’utilisateur lui reconnait une quelconque utilité.

Comprendre son environnement

Il y a une vingtaine d’année, Lego a connu une érosion inexpliquée de ses ventes. L’entreprise danoise a eu l’idée de solliciter plusieurs anthropologues pour se pencher sur la pratique des jeux dans le monde, principalement chez les enfants de 8 à 12 ans.

Un des insights les plus forts qui en est ressorti, c’est que ces enfants n’avaient plus le temps de jouer, cette activité étant en concurrence avec leurs activités extrascolaires, notamment dans les familles CSP+.

Ces contraintes ont alors conduit Lego à réduire la taille de ses sets de jeu, en ajoutant l’âge conseillé sur le packaging. En réinjectant ainsi de la réassurance de temps et en devenant plus compréhensible, son chiffre d’affaires a pu repartir à la hausse.

Une démarche de terrain

L’anthropologue est hypermétrope, dans ce sens, où il scrute d’un côté ce qui très près et de l’autre ce qui est très loin. Il fait donc le grand écart entre des signaux faibles et les grands mouvements macrosociologiques.

En interrogeant toutes les parties prenantes, non seulement les utilisateurs finaux, II élargit le champ de vision des équipes en charge d’innover.

L’anthropologue va par exemple :

  • Repérer les codes et les non-dits,
  • Identifier les zones d’opposition,
  • Faire émerger les problèmes communs ou les langages communs.

A la suite de travaux exploratoires, l’anthropologue va livrer ses conclusions en termes simples, afin que son donneur d’ordre puisse en intégrer les conclusions dans son propre process.  

Le poids de l’habitude

Dans les faits, la vision de l’ingénieur prime encore très souvent sur celle de l’utilisateur. Le risque pour une entreprise est de croire qu’il suffit de foncer à partir d’une idée qui semble bonne et de dérouler des recettes, qui ont déjà fait leurs preuves.  

L’anthropologie bouscule parfois les certitudes.

Daphné Marnat, anthropologue et Présidente de UnBias, reconnaît qu’ «Innover suppose une grande introspection pour une entreprise. Il faut parfois changer de direction, voire avoir la franchise de reconnaitre qu’on s’est trompé. Les adeptes du « user centricity » et des processus itératifs (ce n’est pas bon, on recommence) sont plus ouverts à entamer ce type de collaboration. »

Débrider le processus d’innovation

Une autre tendance se dessine. Certaines organisations ne veulent plus seulement « cracker une idée », mais s’organiser pour y parvenir plus facilement.

Des entreprises et des Instituts de recherche n’hésitent plus à demander aux anthropologues d’identifier au sein de leurs organisations les conditions nécessaires pour faire émerger l’innovation.

En effet, ce processus ne concerne jamais un seul métier. Le regard neuf de l’anthropologue va conduire à faire dialoguer ensemble des parties prenantes, qui n‘en ont pas l’habitude.

L’innovation est avant tout un jeu d’acteurs. Et, de nombreux facteurs peuvent intervenir comme les enjeux de pouvoir, les aspects financiers ou le hasard.  

Du Lego aux chatbots

Alors que la technologie ouvre de nouveaux horizons pour innover, le risque est de laisser les questions éthiques passer à travers les mailles du filet.

L’intelligence artificielle en fournit un bon exemple. Ainsi, dans le cadre d’une politique de recrutement, les CV de jeunes ingénieurs étaient rendus plus visibles par un algorithme que ceux des jeunes femmes ayant les mêmes diplômes. Dans de nombreux cas, le critère de la localisation provoque également de fortes distorsions.

Daphné Marnat propose aux concepteurs de réseaux neuronaux de mesurer les écarts entre les résultats que produit une IA et ceux qui devraient ressortir à partir d’un filtre parfaitement neutre. Il s’agit de savoir si ces écarts sont le fruit de biais involontaires ou s’ils résultent d’une stratégie délibérée. On le voit, pour suivre le rythme des innovations, l’anthropologue 2.0 est amené lui -même à acquérir sans cesse de nouvelles expertises et à ne négliger aucun territoire. Dans la même veine, la RSE, du fait de sa dimension transverse, peut aussi retirer des enseignements précieux de ce type de démarche.