La communication et la publicité face au défi du parler vrai

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La communication et la publicité face au défi du parler vrai

10 novembre 2022

Parler vrai, mais aussi agir en conséquence. Les mouvements de défiance qui traversent la société amènent les communicants à retravailler leur métier en faisant la place à des compétences de responsabilité et d'engagement.

La crise sanitaire qui a secoué le monde a mis à mal l'économie et ses acteurs, bousculé les règles de vie jusque dans la sphère intime et a sommé les institutions comme les citoyens de transformer sans tarder leur rapport à l'environnement. Il y a un autre domaine qui se trouve pris à partie : celui de la publicité et plus largement celui de la communication, accusé par une partie de l'opinion de faux et d'usage de faux. Cela va des volte-face du gouvernement sur l'utilité du port du masque aux "fakes news" qui supplantent l'information jusqu'à la mise en cause de la publicité accusée de nuire gravement à la planète en poussant à la surconsommation des ressources.

C'est d'ailleurs pour lutter contre cette surconsommation qu'un groupe de députés a déposé un projet de loi visant à interdire de publicité certains secteurs. Cette perspective a amené plusieurs organisations professionnelles à réagir dans une annonce de presse titrée "Avant d'interdire" en affirmant que la publicité voulait "faire son travail pour la transition écologique".

Manipulateur

La question est posée : qu'est-ce que « faire son travail » aujourd'hui quand on est publicitaire et communicant ? Peut-on se contredire sans vaciller en fonction des besoins, travestir la réalité, le métier de publicitaire est-il toujours, comme le définissait le fondateur de l'agence CLM BBDO Philippe Michel "un métier de manipulateur" ne cachant pas son but : "vous faire croire à une vérité et que cette vérité n’est que celle d’une marque qui dépense de l’argent pour vous faire partager sa manière de voir" ?
La réponse n'est pas évidente pour les professionnels eux-mêmes qui n'ont pas tous le même point de vue. Ils s'accordent néanmoins sur un point pour reconnaître que le métier de communicant est conduit à revoir sérieusement ses bases s'il veut suivre un monde qui change très vite, un monde où domine la défiance envers les porteurs de messages.
Déjà le ton et les messages publicitaires se sont adaptés à l'air du temps : on n’a jamais autant parlé de responsabilité des marques, de solidarité, d'environnement. Mais parler ne suffit pas pour convaincre. Dans une récente étude, l'Observatoire des métiers de la publicité le dresse le constat de "la saturation grandissante des consommateurs vis-à-vis des messages publicitaires". L'Observatoire indique dans la même étude que deux personnes sur trois placent la publicité digitale sur le même plan que les virus et les "fakenews" avant de plaider pour une transformation de la publicité (souhaitée par 63 % des Français selon le rapport de l'Observatoire). Cette transformation à venir ne peut se réduire à un changement de décor, à un verdissement des messages qui loin de tromper le consommateur va au contraire renforcer son rejet, souligne Frédéric Aubrun, enseignant-chercheur en marketing et communication à l'INSEEC BBA.

Ne pas avancer masqué

C'est un point essentiel du contrat à établir avec le public aujourd'hui : Ne pas tricher avec la cible ou l'interlocuteur, être résolument transparent dans la communication. Ces compétences là sont requises des jeunes professionnels estime Frédéric Aubrun. Mercedes Erra, présidente exécutive de Havas Worldwide, et fondatrice de l'agence BETC, va dans le même sens quand elle dit son refus de "la publicité cachée sous la forme d'un contenu rédactionnel pouvant passer pour un article de presse », et affirmant la « nécessité pour la publicité de ne pas avancer masquée".

Cette exigence de clarté dans la relation avec le consommateur rejoint un autre trait du portrait du communicant de demain esquissé dans l'étude de l'Observatoire des métiers de la publicité qui pointe la "nécessité de travailler sur le sens et les valeurs". Dans le même ordre d'idée, l'étude souligne l’attente d’une communication éthique, inscrite dans une démarche de responsabilité sociétale et environnementale. Cet objectif peut répondre aux attentes des consommateurs comme des jeunes professionnels en phase avec leur génération. Mais il ne va pas de soi. "L'inscription de la RSE dans la pub, ce n’est pas gagné. Mais les écoles de communication s'y mettent" concède Frédéric Aubrun. Le bilan « Publicité et environnement » publié en septembre par l'ARPP et l'Ademe tend à confirmer ces difficultés. Il fait état d'une progression du nombre de publicités non conformes à la recommandation développement durable.

Un capitalisme solidaire

Les marques pourraient néanmoins faire progresser la cause de la RSE et amener les métiers de la publicité à intégrer des profils adéquats. Un certain nombre d'entre elles ont semblé s’adapter au contexte de la crise sanitaire "en se positionnant comme des acteurs sociétaux à part entière." indique Frédéric Aubrun qui n'exclut pas une "métamorphose structurelle de la marque pour répondre à un nouveau capitalisme, davantage solidaire".

En adoptant ce positionnement responsable, les marques s'exposent à une demande de résultat de la part de leurs clients, les consommateurs pour qui "dire, ce n'est pas faire". C'est aussi un des aspects que vont devoir apprendre à travailler les nouveaux communicants, souligne le chercheur de l'INSEEC. "Ils vont devoir sortir du discours performatif et intégrer la notion d'engagement, avec sa conséquence, la communication sur les résultats". Il cite l'exemple d'Adidas qui, durant la crise COVID, a offert pendant un mois deux euros par achat de plus de vingt euros au fonds Covid de l'OMS. L'équipementier voulait à cette occasion montrer que le discours publicitaire pouvait s'accompagner d'actions concrètes. D'autres professionnels vont plus loin, comme Thierry Libaert, l'auteur du livre "Des vents porteurs", quand il dit ne pas comprendre "pourquoi le secteur de la publicité est un des rares secteurs économiques à ne s’être jamais engagé sur le respect des accords de Paris, sur des engagements de neutralité carbone."

Consommation et frugalité

L'un des défis pour les professionnels de la publicité désireux d'adapter leur métier à la nouvelle donne responsable va être de trouver le moyen de concilier la promotion de la consommation -le cœur du métier- et le respect des ressources épuisables, la frugalité.
Ce n'est pas incompatible pour Mercedes Erra qui affirme la capacité de la publicité à accompagner la transition écologique. "La publicité ne concerne pas que la vente de produits à consommer, elle promeut aussi des comportements plus responsables quand elle traite de la discrimination ou de la sécurité routière. Elle peut de la même façon promouvoir des produits en tenant compte de l'environnement. On peut aussi se battre sur le prix plutôt que sur la quantité, la surconsommation n'est pas un effet mécanique de la publicité".

Encore faut-il que la communication de marque soit audible par le public, perçue comme digne de confiance et non prise les doigts dans le pot de confiture quand elle réalise la campagne "verte" d'une société pétrolière et gazière, ou celle des voitures "haut carbone". Cela fera partie des compétences à venir du publicitaire, admet Frédéric Aubrun, que de refuser de répondre à la demande mensongère d'un annonceur. Y compris quand celui-ci met en avant des vêtements 100 % coton bio en omettant de dire qu'ils sont fabriqués en Asie dans des conditions indignes.
Plus que jamais, conclut Mercedes Erra, "les sciences humaines constituent le socle de compétences que l'on attend d'un jeune qui se destine à la communication de marque. Peu importe la formation, ce qui est premier c'est la rigueur de raisonnement, qui donne la capacité d'inventer sur la base de l'analyse."

Lien vers l'Observatoire des métiers de la publicité