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Les raisons sont doubles. Elles s’expliquent par les choix urbanistiques fondés sur l’usage de la voiture individuelle et la localisation périphérique des centres commerciaux et par un mode de production et de consommation alimentaires basé sur les énergies fossiles, l’alimentation représentant 25% de l’empreinte carbone totale des Français.
Il convient d’abord de critiquer cette notion d’urbanisme commercial qui isole et traite à part une fonction particulière et importante de la ville, le commerce, conduisant à un zonage fonctionnel de l’espace urbain. Ville et commerce ont toujours été intégrés, le commerce (foires, places du marché, halles) a joué un rôle décisif dans la formation des villes en contribuant à leur genèse, à leur animation et à leur urbanité. En détachant le commerce de la ville, en particulier du centre-ville, cette conception d’isolement et de mise à distance du commerce par la grande distribution a contribué à l’éclatement urbain et provoqué le déclin de nombreuses villes, petites et moyennes, avec le dépérissement des cœurs de ville surtout dont le commerce local, rudement concurrencé, a périclité.
L’urbanisme des réseaux, autre vision sectorielle de l’urbanisme, qui a favorisé le développement des autoroutes et des métropoles autoroutières, a été aussi, pour une bonne part, à l’origine de l’expansion de la grande distribution en périphérie, banlieue et périurbain, au bord des échangeurs ou le long des voies qui facilitent l’accessibilité et la livraison du fret. L’étalement métropolitain et le zoning fonctionnel, à savoir la spécialisation des zones urbaines par fonction dans les SCOT/PLU (1) ont contribué à produire une organisation spatiale distendue, éclatée, donc totalement dépendante de l’automobile, dans les périphéries dénuées de transports publics surtout, créant des territoires habités fortement énergivores et émetteurs de CO2 par le trafic nécessaire induit. Trafic et transport routier représentaient, en 2018, 29 % du total des émissions de GES [gaz à effet de serre – ndr], auxquels il faut ajouter une partie des 5% dus au transport aérien, car de nombreux produits alimentaires (et autres) sont acheminés par voie aérienne des quatre coins du monde, quelque soit la saison. C’est pourquoi, ces grandes surfaces demandent, pour leur fonctionnement, deux-tiers d’espaces non bâtis dans leur superficie totale pour les voies, les parkings, le stockage, et parfois la végétation. Conséquence : d’une part, le transport routier est largement dominant dans un marché européen ouvert qui fonctionne à flux tendus, d’autre part, ces espaces fortement artificialisés et asphaltés, que sont les grandes surfaces, participent aussi à la croissance d’îlots de chaleur urbains.
Des années 1970 à aujourd’hui, nous avons assisté à une évolution des typologies de centres commerciaux toujours plus grands, allant des hypermarchés aux galeries commerçantes couvertes jusqu’aux « jumbos » actuels, gigantesques centres commerciaux, nouvelle génération, de plus de 100 000 m2, pouvant drainer plus de 10 millions de visiteurs par an, combinant alimentation, boutiques, magasins, loisirs (cinéma). Ces temples de la consommation de plus en plus énormes, sont, par leur taille, extrêmement énergivores : Europacity, un complexe de commerces et de loisirs démesuré de 80 hectares, prévu au Triangle de Gonesse [Val d’Oise], a été finalement retoqué récemment en raison de son impact écologique et climatique, malgré ses 3,2 milliards d’investissement promis. Après Aéroville, près de Roissy, ouvert en 2013, de tels mégaprojets consuméristes ne sont plus à l’ordre du jour. Les centres commerciaux sont aujourd’hui menacés par le e-commerce en plein essor. Les villes, après avoir été fragilisées par les centres commerciaux périphériques, avec le simulacre d’espace public qu’ils proposent, sont à présent également mises en péril par le développement de ce commerce en ligne.
Il est en effet important de prendre également en compte le bilan carbone des produits commercialisés en interrogeant en amont la production (agriculture, élevage, usines de transformation alimentaire), le stockage, la conservation, l’emballage, et l’énergie grise (2) incorporée dans cette chaîne de fabrication et distribution du produit (végétal ou animal dans le cas de l’alimentation). L’expression « manger c’est aussi contribuer au changement climatique », qui responsabilise le consommateur, veut tout dire. Les lois Grenelle de 2009 et 2010 ont voulu établir un étiquetage écologique qui intègre le bilan carbone des produits, mais cela s’est avéré complexe à réaliser et le projet a été reporté sine die dans une future loi sur l’économie circulaire. Toutefois, quelques grandes surfaces ont appliqué cet étiquetage en inscrivant par exemple la quantité de CO2 émise par 100g de produit. Comment en effet séparer le commerce et son infrastructure de la fabrication des produits commercialisés pour évaluer son impact climatique ? L’agriculture participe aujourd’hui à 19 % des émissions de GES. On voit la difficulté à évaluer l’impact réel du commerce sur le climat en le réduisant au transport.
Cela pose la question de savoir ce qu’est une ville durable. C’est une ville définie par les caractère suivants : compacité relative et courte distance par sa forme, mixité des fonctions et mixité sociale dans son organisation, gouvernance locale participative dans sa gestion avec dans son fonctionnement des objectifs zéro déchets (économie circulaire), zéro carbone (transition énergétique) dans tous les secteurs urbains, habitat (performance énergétique), circulation (mobilité durable et douce), travail (production), consommation (commerce), impliquant la fin des énergies fossiles avec une transition énergétique vers les énergies vertes, renouvelables... Mais attention, la ville durable est un projet, un horizon, pas un modèle général et universel défini. Pour réconcilier ville durable et commerce, il faut donc restaurer la mixité fonctionnelle, éviter le zoning ou la ville par zones spécialisées en réinstallant le commerce dans la ville, réduire les projets démesurés, remettre en question la métropolisation pour aller vers une ville des courtes distances fonctionnant plus aux mobilités douces et aux transports en commun... D’un autre côté, pour agir sur le bilan carbone, il faut revoir et décarboner toute la chaîne de la production à la distribution, repenser une agriculture de proximité, une agriculture urbaine, tendre vers une certaine autosuffisance alimentaire, responsabiliser le consommateur dans ses choix, freiner le consumérisme...
Pas vraiment, sinon ils auraient déjà agi : la politique de transition est encore trop timide et le scénario alternatif n’est pas encore prêt. Ils sont en prise avec des intérêts et des objectifs contradictoires et les arbitrages sont difficiles. Peut-être faut il un choc comme celui de la pandémie que nous traversons pour prendre conscience de la nécessité de changer et de construire une véritable transition.