Rasoir de Hanlon : bêtise vs malveillance

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Rasoir de Hanlon : bêtise vs malveillance

26 janvier 2022

D’après le rasoir de Hanlon, au travail comme dans la vie quotidienne, la malveillance serait plus rare que la bêtise. Mais faut-il vraiment s’en réjouir ?

Un de vos collègues n’a pas rempli sa mission, vous plaçant ainsi dans une situation inconfortable. Une question vous vient alors à l’esprit : s’agit-il d’un simple problème de compétence ou d’une tentative délibérée de vous nuire ? Le rasoir de Hanlon entend couper court à une telle interrogation, en affirmant que la malveillance serait généralement improbable.

Qu’est-ce que le rasoir de Hanlon ?

La formulation exacte de ce principe est plutôt récente, puisqu’elle remonterait à 1980. Elle est attribuée à un développeur informatique américain, Robert J. Hanlon, mais cette origine est contestée. Toujours est-il que c’est bien le nom du programmeur qui est resté associé à cet aphorisme.

Voici son énoncé, en version originale : « Never attribute to malice that which is adequately explained by stupidity. » Et si nous prenons soin de vous livrer la formulation anglaise, c’est parce que sa traduction fait l’objet de débats. La version la plus courante est certainement la suivante : « Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer. » Mais il arrive que le mot « bêtise » soit remplacé par « incompétence ». Et cela n’est pas sans incidence sur son interprétation (voir ci-après).

Cette hésitation linguistique s’explique par l’ambivalence du mot anglais « stupidity ». Celui-ci fait-il référence à un manque de connaissance, qui se rapproche davantage de l’incompétence ou de l’ignorance ? Ou bien se réfère-t-il plutôt à un défaut d’intelligence, de jugement ou de bon sens, même en ayant tous les éléments en main, qui pourrait être traduit par le mot « bêtise », lui-même n’étant pas exempt d’équivoque ? Difficile de trancher (un comble pour un rasoir).

Mais pourquoi un « rasoir » ?

Arrêtons-nous d’ailleurs un instant sur ce terme. Pourquoi parle-t-on du « rasoir » de Hanlon et non de la loi ou du principe du même nom ?

En philosophie, ce mot désigne une règle permettant d’éliminer des hypothèses improbables, au profit d’explications plus plausibles. L’image est donc celle d’un rasoir qui viendrait couper les idées inutiles qui dépasseraient.

Parmi les rasoirs philosophiques célèbres, figure celui d’Ockham, qui affirme que l’explication la plus simple est généralement la bonne. Le principe attribué à Hanlon n’en constituerait finalement qu’un prolongement, la malveillance étant considérée comme une hypothèse inutilement complexe.

Est-ce vraiment une bonne nouvelle ?

Bien sûr, le rasoir de Hanlon ne repose pas sur une démarche scientifique. Il n’a fait l’objet d’aucune étude rigoureuse, ce qui serait de toute façon impossible, puisque les termes employés ne peuvent être définis sans ambiguïté. Il ne s’agit que d’un précepte visant à décrypter le comportement des individus, qui agiraient davantage par bêtise ou incompétence que par malveillance.

Il peut paraître tentant d’approuver cette théorie, en la jugeant opportunément optimiste. De manière générale, l’être humain ne serait ainsi pas mal intentionné, il ferait, au pire, preuve de bêtise ou d’incompétence. Mais un tel constat est-il vraiment porteur d’espoir ?

En réalité, tout dépend de la traduction choisie. S’il est uniquement question d’incompétence, alors le rasoir de Hanlon semble effectivement fournir une solution simple pour éviter les désagréments. Par exemple, en entreprise, il « suffirait » de bien former les collaborateurs et de leur apprendre à ne pas reproduire leurs erreurs.

Mais dans le cas de la bêtise, le tableau paraît plus sombre. Car l’individu présente alors une incapacité à exercer pleinement ses compétences cognitives. Dès lors, comment faire progresser quelqu’un qui ne peut (ou ne veut) pas apprendre ? À l’inverse, même si la tâche s’avère souvent compliquée, il n’est pas impossible de raisonner un individu mal intentionné. Par conséquent, au sein d’un groupe, la bêtise représenterait un problème plus difficile à résoudre que la malveillance. C’est l’une des conclusions tirées par l’économiste italien Carlo Cipolla, dans son ouvrage Les lois fondamentales de la stupidité humaine. Selon lui, « l’idiot est le type d’individu le plus dangereux », davantage donc que celui que l’auteur appelle « le bandit ». Reste à savoir à quelle catégorie appartient votre collègue.