António Damásio : émotions et raison

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António Damásio : émotions et raison

21 mars 2023

António Damásio est un neuroscientifique luso-américain dont une partie du travail s’est focalisée sur la déconstruction de la vision cartésienne de la pensée humaine.
Depuis de nombreuses années, António Damásio travaille sur la question de la place des émotions dans les mécanismes de prise de décisions. L’application de ses travaux dans le monde de l’entreprise interroge la place des émotions dans l’environnement professionnel. L’émotion serait un outil privilégié de compréhension du monde et de soi.

Le lien entre raison et émotions

Dans un entretien accordé à Philonomist, António Damásio confiait son intérêt précoce pour la matière émotionnelle en s’appuyant sur l’engouement, dans les années 80, pour les ordinateurs et le besoin de « comparer le cerveau humain à un ordinateur, doté d’un certain nombre d’algorithmes en charge du raisonnement. Mais cette vision des choses nous paraissait partielle et erronée. Si vous vous intéressez au vivant dans une perspective évolutionniste plus large, vous vous rendez compte que la vie a 4 milliards d’années mais qu’il existe des cerveaux seulement depuis environ 500 millions d’années. Cela signifie que de nombreux organismes ont longtemps très bien répondu à tous les défis adaptatifs et ont pris des décisions intelligentes, mais sans pensées, sans idées, sans images, sans esprit tout court. Comment est-ce possible ? Notre hypothèse de travail était qu’il existe une forme d’intelligence préréflexive et précognitive, fondamentale pour la survie, et que l’étude des émotions et des sentiments, disons de l’affectivité, était la clé pour la comprendre ».

Nombre d’expressions font état d’une séparation stricte de la raison et des émotions dans nos mécanismes de décisions. « se laisser guider par ses émotions » serait souvent néfaste, « prendre une décision à chaud » serait un mauvais calcul, « mettre ses émotions de côté » serait bénéfique à la réflexion … Ce vocable montre à quel point, dans la croyance générale, les notions de raison et d’émotions s’opposent hiérarchiquement et qualitativement.

De nombreux travaux en neuropsychologie viennent démontrer qu’en réalité, les deux notions seraient liées et que les émotions auraient une place privilégiée dans les mécanismes décisionnels. Sans émotions, certaines décisions rationnelles ne pourraient plus être prises par les êtres humains : elles agiraient comme des marqueurs guidant la raison.

La neuropsychologie cognitive étudie les rapports entre les structures cérébrales et les fonctions cognitives. En observant les résultats de différents tests pratiqués sur des personnes atteintes de lésions cérébrales, les conclusions montrent que les émotions agiraient comme des marqueurs permettant de lier un caractère positif ou négatif à une décision en orientant la raison.

Cet article explique en détail le déroulement des études cliniques.

Le rôle de l’émotion en entreprise

La notion d’émotion, sans être tabou, n’est que très peu utilisée en entreprise. Elle se révèle pourtant un marqueur fort, durable et impactant dans nombre de situations professionnelles. Apprendre à la ressentir, à l’accueillir et à l’utiliser est un atout considérable et un vecteur de performance.

Ce n’est que récemment que l’émotion a pu obtenir reconnaissance dans le milieu professionnel. Longtemps considérées comme spécifiques à la sphère privée, les émotions demeurent déterminantes dans la gestion des comportements de tout individu… même dans le cadre professionnel !

Exclure la question de l’émotion dans l’entreprise, c’est exclure la notion même d’humanité en un sens et, désormais, la question de l’humain est centrale dans le management et la gestion RH.

Mobiliser ses collaborateurs pour réussir à mettre en place une culture d’entreprise cohérente et emplie de sens « pré requiert » l’humanisation des rapports entre les membres de cette entreprise. Si humanisation il y a, alors la place de l’émotion ne peut qu’être acceptée et accueillie.

Ces émotions doivent être considérées comme des sources de progrès au même titre que le sont les compétences ou les connaissances. Apprendre à les exprimer et à s’en servir dans le cadre d’une organisation est bien évidemment un défi car cette idée vient déconstruire une approche productiviste toujours prégnante dans certaines entreprises.

Le danger de ne savoir et vouloir accepter les seules émotions positives ont trop souvent gouverné les timides acceptations de l’émotion dans le cadre professionnel. Désormais, gestion de la colère, acceptation du doute et de l’échec sont des notions qui commencent à être acceptées. La formation des individus à la gestion de ces émotions est sans nul doute un des éléments primordiaux de la transformation globale du monde du travail massivement demandée par les collaborateurs.

« Les humains voulaient trouver le remède aux tourments de leur cœur ; réconcilier les contradictions générées par la souffrance, la peur, la colère et la poursuite du bien-être. Ils se sont donc mis en quête de source d’émerveillement et de sensations fortes. Ils ont découvert la musique, la danse, la peinture et la littérature. Ils ont poursuivi leurs efforts en élaborant les tumultueuses épopées que sont les croyances religieuses, les questionnements philosophiques, la gouvernance politique –et bien d’autres inventions encore. C’est ainsi que notre esprit créateur de culture s’est perpétuellement adapté à la dramaturgie humaine, de la naissance jusqu’à la mort. » L'Ordre étrange des choses. Antonio Damasio. Editions Odile Jacob.

Écouter Antonio Damasio en podcast sur France culture