Les établissements de l’enseignement supérieur français face au défi de l’identité organisationnelle

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Les établissements de l’enseignement supérieur français face au défi de l’identité organisationnelle

1 avril 2023

Que ce soit pour valoriser son histoire, exprimer ses valeurs intrinsèques ou qu’il s’agisse d’une démarche de différenciation concurrentielle, les établissements de l’enseignement supérieur français ont entamé un long cycle d’analyse sur la nécessité d’évolution de leur identité organisationnelle comme facteur d’attractivité.

De manière schématique, nous allons considérer que l’enseignement supérieur en France représente les formations post bac. Au total, près de trois millions d’étudiants, y compris BTS en apprentissage, sont inscrits à la rentrée 2021 dans l’enseignement supérieur[1]. Ces étudiants sont répartis dans différents types d’organisations à mission éducative : publiques, privées sous contrat, privées hors contrat et membres de la conférence des Grandes Écoles. Depuis 2018, il est établi que l’enseignement supérieur français répond à une logique d’économie de marché ce qui entraîne des réflexions sur l’identité pour répondre à ce nouveau paradigme compétitif (Musselin, 2008).

Depuis une quinzaine d’années, nous assistons donc à des mutations profondes d’identité au sein des Grandes Écoles de Management. Parfois pour le meilleur : création de SKEMA en 2009 (fusion du CERAM Nice et de l’ESC Lille) ou pour le pire : création de France Business School en 2012 (fusion de 4 Grandes Écoles Amiens, Clermont, Brest et l’ESCEM Tours Poitiers) qui a fait faillite en 2015[2].

Ces problématiques sur la « marque » au sein des Grandes Écoles de Management apparaissent cohérentes du fait de leur proximité avec la notion de concurrence entre établissements. Nous pouvons constater que les acteurs publics intègrent également cet impératif d’identification. La création de l’université Paris Saclay en janvier 2020 illustre la nouvelle place accordée à la relation dyadique entre la marque et la réputation : composée de cinq unités de formation, trois Instituts universitaires technologiques, une école d’ingénieur et dix-sept « Graduate schools » qui avaient leurs identités propres, « l’université Paris Saclay souhaite se positionner comme un label d’excellence international[3].»

Ces modifications peuvent entraîner des confusions, des réactions épidermiques des diplômé(e)s d’une école, des perturbations dans le management interne voir une défiance dans le corps enseignant. Le changement de nom représente dans ces cas la partie la plus visible d’une identité organisationnelle.

Des questions en amont se posent alors, « Qu’est-ce que l’identité organisationnelle ? »,  « Quelle est l’identité de notre organisation ? », « Comment identifier une crise organisationnelle ? »

Cette contribution se propose d’aborder un certain nombre d’alternatives pour accompagner les acteurs de l’enseignement supérieur dans l’appréhension du rôle stratégique de l’identité organisationnelle.

L’identité organisationnelle

Elle est définie comme l’ensemble des perceptions des parties prenantes de l’organisation, des caractéristiques centrales distinctives, stables dans la durée.

L’identité organisationnelle encadre la façon dont les membres d’une organisation sélectionnent et interprètent les problèmes, les émotions et les actions.[4]

La formation de l’identité relève de l’interaction complète entre le psychologique et le social. Ainsi l’appartenance au groupe, les relations intergroupes et les identifications qui en résultent interviennent dans la construction de l’identité organisationnelle.

Qu’est-ce que l’identité d’une organisation ?

Du plus observable au moins observable, une organisation est composée de quatre niveaux :

  • La structure : l’ensemble des procédures et systèmes de gestion dans le cadre desquels les individus agissent en vue de l’atteinte des objectifs collectifs.
  • Le management : L’articulation des moyens humains et matériels pour atteindre un niveau de performance.
  • La stratégie : c’est l’ensemble des choix d’allocation des ressources d’une organisation en vue de réaliser ses objectifs.
  • La culture : ce sont les valeurs, les rites, les us et coutumes.

L’articulation de ces quatre niveaux a pour but de susciter l’adhésion des parties prenantes à la communauté organisationnelle.

La structure est le niveau de lecture le plus observable, puis viennent les ressources humaines et la stratégie. Nous pouvons dire que la stratégie et la structure sont en interaction et initient le management. Ces composantes donnent à leurs tours l’identité, ce qui forme, dans la durée, la culture de l’organisation (Teneau, 2017). 

Enjeu de l’identité organisationnelle pour un établissement de l’enseignement supérieur

Le monde de l’enseignement supérieur est traversé par une logique de compétition. Dans un contexte de diversification des publics et des parcours, les établissements font face à un double phénomène incertitude/complexité[5]. Le développement en volume des apprenants et les évolutions législatives relatives à l’enseignement supérieur entraînent un changement d’ordre de grandeur de sollicitation des parties prenantes de l’organisation. Pour les acteurs en responsabilité, l’identité organisationnelle est un facteur clef de succès dans la capacité d’une structure à s’adapter aux changements.

Nous appréhendons la culture organisationnelle comme un premier facteur de contingence[6]. En fonction de celle-ci, le temps de déni face à l’impératif d’agilité peut être plus ou moins long. Dans la mesure où l’éco système de l’enseignement supérieur est confronté à des évolutions durables, l’adaptation des établissements peut nécessiter un réexamen de leurs stratégies globales. À ce stade du diagnostic, l’identité de l’institution éducative impacte le type de recommandations idoines à apporter.  

Savoir reconnaître une crise d’identité organisationnelle

À l’instar des entreprises, les établissements de formation subissent des multiples influences tant de l’intérieur que de l’extérieur.

Influences internes : l’individu, les groupes et le système organisationnel qui sont des facteurs en interaction constante.

Influences externes : les systèmes politiques et la législation, les centrales syndicales, la clientèle, la concurrence, les valeurs culturelles et la conjoncture économique.[7]

Afin d’assurer sa pérennité face à la polysémie des influences, les parties prenantes de l’organisation doivent alimenter un dialogue constant entre le terrain et les objectifs. Cela peut générer un climat organisationnel tourmenté, ce qui caractérise une crise d’identité organisationnelle. La crise peut résulter d’une perception – réelle ou fantasmée – par les acteurs.

Des faits quotidiens a priori anodins peuvent être interprétés de manière exacerbée. En de nombreux endroits de l’organisation, une logique du bouc émissaire apparaît pour des raisons souvent contradictoires.

Dans une réinterprétation managériale, la pratique du bouc émissaire relève d’une pratique connue afin « de différer le mal » et d’éliminer, à court terme, les aspects douloureux de la crise sans en traiter les causes.[8] Il devient alors indispensable d’alimenter une vigilance managériale pour limiter la contagion émotionnelle et préserver les capacités opérationnelles de l’organisation.

La réciprocité positive : raison d’être ou raison d’y être ?

Incorporer la notion de réciprocité dans la co-construction d’une identité organisationnelle permet de mieux appréhender l’émergence de mécanismes coopératifs entre les parties prenantes.

L'identité organisationnelle se construit, sans cesse, dans l'interaction. Cette perspective se traduit par un glissement d’une définition unique d’identification organisationnelle vers un processus dynamique d’identification organisationnelle. (Weick, 1969)

La multiplication de réciprocités positives pourrait devenir un élément de réponse pour résoudre une crise d’identité organisationnelle et permettre à l’établissement de combiner impératifs économiques et évolutions sociétales.

Conclusion

L’identité organisationnelle se construit à travers la qualité, la confiance et la constance des interactions entre acteurs. De par la prédominance du rôle des parties prenantes humaines dans un établissement d’enseignement supérieur et des interactions subjectives que cela induit, une crise d’identité organisationnelle porte en son sein un risque systémique quant à la pérennisation d’un établissement. Les organisations à mission éducative se trouvent confrontées à devoir réaliser un arbitrage subtil entre « l’affectio societatis » et le « pretium doloris ».

C’est-à-dire le « prix » que les parties prenantes sont prêtes « à payer » pour intégrer le contrat de société qui répond aux impératifs de performance de l’écosystème apprenant.

Pour soulager les tensions inhérentes à une crise d’identité organisationnelle, il semble pertinent de dépasser la question « Qui sommes-nous ? » pour arriver à une interrogation constructive « Qui allons-nous être ? ».


Bibliographie

Musselin, C., 2008. Vers un marché international de l'enseignement supérieur ?. Critique internationale, Volume 39, pp. 13-24.

Teneau, G., 2017. La résilience des organisations. Paris: Harmattan.

Weick, 1969. The Social Psychology of Organizing. Reading: Addison-Wesley.


[1] Les publications statistiques sur l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation (enseignementsup-recherche.gouv.fr)

[2] News Tank Éducation & Recherche - La montée en puissance des grandes écoles de management « fusionnées » (Olivier Guyottot)

[3] Université Paris-Saclay (universite-paris-saclay.fr)

[4] https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-2-page-139.htm

[5] Saloff, D. M., 2020. Colloque Société internationale JB Say « imaginer le futur à partir du passé » 7 et 8 Décembre. Paris, s.n.

[6] theses.fr – Mariela Golik , La perception du climat organisationnel : une analyse des facteurs de contingence

[7] Les résiliences | Résilience Organisationnelle (resilience-organisationnelle.com)

[8] https://www.cairn.info/revue-sens-dessous-2011-2-page-56.htm