L’accompagnement des personnes dépendantes : à la découverte d’un nouveau métier

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L’accompagnement des personnes dépendantes : à la découverte d’un nouveau métier

19 juillet 2023

Chaque métier voit ses pratiques évoluer pour se transformer en compétences qui sont évaluées puis officiellement enseignées. Il est plus rare de découvrir que derrière un métier, s’en cache un autre …

La structure de la population et l'allongement de la durée de vie des personnes âgées posent la question de leur prise en charge. Le secteur est confronté à des problématiques structurelles difficiles à résoudre, comme le recrutement et le turn-over. De plus, les aidants professionnels qui accompagnent les personnes âgées souffrent d'un manque de reconnaissance important. Des pratiques mal considérées et discréditées (Guerrero & Maisy-Marengo, 2011). 

Pourtant, le nombre de personnes âgées dépendantes en besoin d'accompagnement ne cessera de croître ces prochaines années. 

Notre société préfère valoriser les battants, les gagnants en laissant de côté les personnes âgées en situation de dépendance, désormais considérés comme des "résidus", qui représente le négatif (Lhuilier, 2006). 

La relation et l’accompagnement de résidu sont par conséquent dévalorisés au profit d’actes de soin plus standardisés. Or cette relation de fin de vie est ce qui compte le plus pour le patient. Elle lui permet de continuer à exister ; au moment où ses souvenirs s’estompent et quand ses proches se font rares. Une relation qui engage aussi pleinement le soignant, corps et âme, psychiquement et socialement. Une pratique subjective qui n’est ni évaluée, ni valorisée, ni même partagée et de fait, souvent difficile à porter. 

Des récits emblématiques

« En formation, on nous demande d’être distant mais ça ne me correspond pas. Moi je ne peux pas m’investir et me dévouer pour quelqu’un si je suis distante », nous confie Esther, auxiliaire de vie.

Alice nous parle de l’importance du lien de confiance : « Cette relation qu’on entretient avec nos bénéficiaires est une relation de confiance. Cette personne doit apprendre à te connaître et toi, tu dois la connaître. Elle doit savoir qui tu es et tu dois savoir qui elle est. »

Charlotte évoque l’attachement « Je m’attache à mes patients parce que je passe du temps avec eux et j’ai envie qu’ils guérissent. Même si parfois je le sais, c’est impossible. (…) Mais cette envie qu’ils guérissent, c’est aussi ce qui nous pousse à faire notre métier : prendre soin des gens qu’on accompagne. »

Ces extraits montrent un autre métier, quand les soins matériels se taisent et font place à la libre expression des émotions et des souvenirs. Faire un pas de côté, observer une pratique nouvelle de création du lien avec des personnes réputées “absentes”, silencieuses, sans histoire ni souvenirs ; c’est observer l’émergence d’un métier nouveau avec des compétences encore mal connues et des savoirs inédits. Une pratique qui nécessite d’être : 

·         Écoutée pour alléger la douleur des soignants

·         Institutionnalisée, pour permettre de projeter de longues carrières

Au-delà de l’écart entre le prescrit et le réel

L'amélioration des services proposés par le secteur de l'accompagnement passe donc impérativement par la reconnaissance de la part subjective de ce métier. En allant à la rencontre de ces professionnels, nous sommes entrés dans ce qui constitue leur pratique si singulière.

S'engager auprès de patients âgés et dépendants entraîne la création d'une intimité profonde, propre aux caractéristiques mêmes du prendre soin. Accompagner une personne âgée dépendante, demande un don de soi important. Un engagement qui n'est psychiquement pas anodin pour les soignants.

Ils ne se voient prescrire que des compétences techniques et leurs performances sont évaluées au regard de ces seules tâches. Or, en les écoutant nous parler, nous réalisons que les aspects relationnels et émotionnels constituent le cœur même de leurs pratiques.

Poursuivant les observations des ergonomes, Christophe Dejours (2003) qualifie l'écart entre la tâche prescrite et sa réalisation sur le terrain, comme une forme de dichotomie entre le travail prescrit et le travail réel. Pour le psychanalyste, il ne s’agit donc pas seulement d’une adaptation aux conditions réelles de travail, mais de la possibilité pour le travailleur d’incarner son travail au travers d’une pratique à laquelle il s’identifie. 

Dans le cas des soignants, ces pratiques subjectives n'enrichissent pas les actes de soin : elles se posent à côté, comme une autre pratique, qui répond à un autre besoin. En effet, prévenir les escarres et remplir le pilulier répondent à une nécessité de soin quotidien. Engager une relation de confiance offre les conditions de la dignité de fin de vie. 

Ces conditions de fin de vie sont d’ailleurs encore mal connues. La neurologie, la gériatrie et la psychologie ont encore trop peu de recul pour savoir comment évolue une démence ou toute autre maladie neurodégénérative, sur plus de 10 ans. Ils ignorent aussi les bienfaits de ces interactions. C’est aussi pour cela que c’est un autre métier, avec des pratiques inédites. 

On pourrait trivialement affirmer qu’on ne joue pas dans la même cour !

Accompagner et promouvoir un nouveau métier

Les soignants auprès des personnes dépendantes exercent donc deux métiers : le soin, et l’accompagnement. Le soin est enseigné, évalué et reconnu. On peut gloser sur le déficit de reconnaissance mais le problème n’est pas là. Il réside dans le fait que l’autre métier, l’accompagnement, n’est même pas identifié : il ne fait pas réellement partie des référentiels métiers et aucune pratique officielle ne lui est associée.

L’une des particularités de ce métier de l’accompagnement est l’implication subjective. Lise Causse (2008) rappelle que l'accompagnement des personnes âgées implique l'engagement des histoires de vie de chacun et des leurs affects. René Roussillon (2014), parle de l'inévitable identification qui a lieu lors d'une relation entre un professionnel du soin et son patient. Prendre soin met ainsi en œuvre des processus complexes, au carrefour du psychique et du social.

Ce métier nécessite un cadre pour le soutenir et le faire évoluer. Il s’agit de prendre en considération des enjeux psychiques et subjectifs du métier, qui nécessite à minima une écoute et une mise en place de temps de parole. 

Promouvoir ce nouveau métier consiste aussi à en identifier les savoirs, les codifier dans des manuels, et à les transmettre. Les nommer et les normer pour en extraire des savoirs exportables à d’autres écosystèmes. 

D’autres acteurs que les Ehpad et l’aide à domicile sont concernés et peuvent s’impliquer dans l’accompagnement de personnes dépendantes. Les professionnels de l’accompagnement pourront ainsi se projeter dans un secteur plus vaste. 

Accessoirement, cela offrira d’autres perspectives à la GRH des Ehpad, que de se concentrer sur l’augmentation des salaires et sur une vague reconnaissance du travail; des mesures assez réductrices au regard des enjeux de l’accompagnement. 

Références 

Causse, L. (2008). Les formes d’engagement des aides-soignantes dans les relations d’aide : des mouvements d’amour contradictoires et réversibles. Nouvelle revue de psychosociologie, (2), 85-105.

Dejours C. (2003), L’évaluation    du       travail à         l’épreuve       du       réel : Critique des    fondements de l’évaluation. Versailles,            France : Editions Quæ.

Guerrero, S., & Maisy-Marengo, N. (2011). Comment donner du sens à un « sale boulot »?. Gestion, 36(4), 76-84.

Lhuilier, D. (2006). Cliniques du travail. Nouvelle revue de psychosociologie, 1, 179-193. L'identification narcissique et le soignant dans le travail de soin psychique Roussillon, R. (2014).. Cliniques, 8, 122-138.