Sylvain Breuzard : "La perma-entreprise, un modèle viable pour un monde viable"

Interview

Sylvain Breuzard : "La perma-entreprise, un modèle viable pour un monde viable"

P-dg de Norsys et président de Greenpeace France

29 novembre 2021

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Sylvain Breuzard
     
     
Convaincu que les standards RSE ne suffisent pas à répondre à l’urgence climatique, Sylvain Breuzard a développé une méthode inspirée de la permaculture pour aider les entreprises, quelles qu’elles soient, à créer leurs propres référentiels de développement dans une logique de respect des ressources naturelles et humaines.

P-dg de Norsys et président de Greenpeace France

Convaincu que les standards RSE ne suffisent pas à répondre à l’urgence climatique, Sylvain Breuzard a développé une méthode inspirée de la permaculture pour aider les entreprises, quelles qu’elles soient, à créer leurs propres référentiels de développement dans une logique de respect des ressources naturelles et humaines.

Vous lancez l’idée de perma-entreprise. Ne s’agit-il pas d’un énième concept d’organisation et de management ? Quelle différence avec la démarche BCorp ou l’entreprise à mission ?

Mon cheminement vers la perma-entreprise se nourrit d’un parcours fait de prises de consciences, de conviction et d’engagement. J’ai présidé le Centre des jeunes dirigeants, j’ai créé le réseau Étincelle, j’ai rejoint le Conseil national du développement durable, je préside aujourd’hui Greenpeace France. Avec la perma-entreprise, j’ai l’espoir d’embarquer des dirigeants, non pas vers un concept, mais dans un modèle de développement viable, pour mieux lutter contre la dégradation sociale et environnementale du monde. Je n’ai pas voulu créer un référentiel RSE de plus. Mon entreprise, Norsys, a été parmi les premières à être labélisée BCorp et sociétés à mission. Ma démarche ne s’inscrit donc pas en opposition à ces modèles. Mais je ne peux que constater que les résultats obtenus par la RSE depuis plus 20 ans ne sont pas, loin de là, à la mesure de l’urgence face à laquelle nous nous trouvons. Échanger les bonnes pratiques ne suffit plus. Quant aux entreprises à mission, leur nombre finalement très réduit témoigne en soi de la limite du modèle.

Comment expliquez-vous cet échec relatif de la RSE ?

Les référentiels RSE calquent des grilles de lecture formatées - parfois même importées d’un autre continent - sur des organisations, des histoires et des cultures uniques. Ils évaluent en outre des actions dans une logique cloisonnée, partie prenante par partie prenante. Or, la RSE doit être appréhendée de manière globale. Pour autant, je reste convaincu que les entreprises ont non seulement un rôle à jouer, mais qu’elles sont les mieux placées pour faire bouger les lignes. C’est pourquoi j’ai cherché à créer un vade-mecum de développement très pragmatique. Avec pour objectif de faciliter, et non d’imposer. En déroulant la méthode que nous leur proposons, les entreprises doivent aboutir à un projet en résonance avec leur propre raison d’être, leurs enjeux à moyen et long terme, des actions à mener, des objectifs à atteindre. L’idée, in fine, est de donner les moyens à chaque entreprise d’obtenir son propre référentiel, qui devient dès lors un outil de pilotage. Après, rien ne les empêche de se lancer dans une démarche de type BCorp ou entreprise à mission. Mieux même : elles auront dans ce cas déjà fait une bonne partie du chemin !

Pourquoi la permaculture ?

Le modèle de la permaculture, inventé il y a une quarantaine d’années, repose sur trois principes éthiques : prendre soin des hommes, prendre soin du sol, fixer des limites à la consommation et redistribuer les surplus. Pourquoi ne pas transposer ces principes de vie à l’entreprise ? Un exemple : en permaculture, on va associer les petits pois et les courgettes parce que les premiers absorbent l'azote qui nuit à la croissance des secondes. Dans l’entreprise, on peut également tirer profit de la diversité et des interactions entre les parties prenantes pour rendre les solutions plus performantes. J’ai mis à profit la période du Covid pour mettre sur pied une méthode construite autour de 23 objectifs d’impact, avec des seuils à atteindre pour chacun d’entre eux. Prenons par exemple le volet "prendre soin de l'humain" de la permaculture. Dans l’entreprise, il s’agit de se poser la question de l’évolution positive de l'employabilité des salariés, mais également de leur bonne santé physique et mentale, de l'écart des salaires dans l’entreprise, de la place et de l’implication des collaborateurs en matière de gouvernance, etc.

Lire aussi : Interview de Michel baquet – Et si le :management s’inspirait de la permaculture ?

Vous avez bien sûr déployé la perma-entreprise à l’échelle de Norsys et de ses 600 salariés ? Comment cela se traduit-il ?

Cela prend notamment la forme d’engagements. En matière de réduction des émissions, par exemple, nous avons voté avec tous les salariés en 2020 de ne plus prendre l’avion quand une autre solution de déplacement garantit un trajet de moins de six heures. Nous avons aussi pris la décision de ne rien commander sur Amazon et de ne rien se faire livrer dans l’entreprise. Autre outil mis à disposition de nos collaborateurs : un bilan carbone professionnel individualisé, pour les aider à mieux visualiser leurs impacts. 

Norsys est pionnière en matière de RSE. Mais toutes les entreprises sont-elles solubles dans le modèle “perma” ?

Il va de soi que toutes ne partent pas avec les mêmes bagages dans cette dynamique responsable de développement. Pour certaines, il faudra remettre profondément en cause leur modèle. En revanche toutes les organisations peuvent a priori s’emparer de la méthode, quels que soient leur taille, leur secteur, leur expérience dans le domaine de la RSE. Nous avons dupliqué le modèle dans des entreprises de 10, 30, 200 personnes. Et même dans une micro-entreprise ! Et tous les retours sont encourageants. Encore une fois, c’est une démarche de développement, qui vise à faire avancer et grandir les entreprises dans une logique de viabilité. Il y a tout de même à mes yeux un prérequis absolu : l’adhésion des actionnaires, quand actionnaires il y a. Dès lors que ceux-ci attendent une maximisation du profit et du résultat, ce n’est pas la peine d’essayer, ça ne marchera pas.

Quelle est la prochaine étape ?

Nous voudrions bâtir une communauté de perma-entrepreneurs, pour partager la méthode et la diffuser. Nous pouvons déjà compter sur le soutien et le relais du Centre des Jeunes Dirigeants, dont l’objectif est de mettre l’économie au service de l’homme, d’Entrepreneurs d’avenirs, de Dirigeants Responsables de l’Ouest.

Nous avons également créé l’École de la Perma-entreprise, pour former des personnes en entreprise et des consultants. La première promotion a fait sa rentrée fin octobre 2021.

Sylvain Breuzard est fondateur et p-dg de Norsys, groupe spécialisé dans les services numériques, certifié ISO 26000, BCorp et reconnu société à mission. Ancien président national du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) où il a développé le modèle de la performance globale de l’entreprise. Il est aussi créateur du Réseau Étincelle, qui vise à rendre entrepreneurs de leur vie les jeunes en rupture scolaire, et préside le conseil d'administration de Greenpeace France depuis 2011.