Coronavirus : un exemple de gestion de crise

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Coronavirus : un exemple de gestion de crise

19 mars 2020

Envisageons ici notre État comme une entreprise, nos responsables comme des managers et nous tous comme des employés…. Et j'entends déjà hurler tous ceux qui brandissent haut et fort leur non-asservissement à l'État ! Rassurez-vous, il ne s'agit que d'un postulat de réflexion…

La situation grave que nous traversons collectivement est comparable à bien des "situations de crise" gérées par des équipes dirigeantes dans nombre d'entreprises.

Les mêmes mécanismes se mettent en marche, les mêmes réactions s'observent et surtout les mêmes "schizophrénies" sont mises au jour…

Une gestion indécise

La première "schizophrénie" est politique, nous dirons ici managériale… elle consiste en un louvoiement coupable entre un besoin absolu de sauvegarde des libertés publiques et une nécessaire protection de la santé publique. Et en ce domaine, dont la complexité de gestion n'est pas contestable, ni l'absence de décision ni la demi-mesure ne sont des réponses adaptées. Il ne devrait pourtant pas y avoir de questionnement en ce domaine, en effet, dès lors que nous nous posons et réfléchissons calmement, une évidence s'impose et la philosophe Corine Pelluchon la synthétise en ces mots : "Ce virus nous rappelle que la santé est la condition première de la liberté"… la hiérarchie est donc trouvée !

Comme nous l'affirmons souvent, l'important est la quête de sens, le souci permanent d'apporter dans la réflexion et dans l'action le sens qui fera que les décisions prises seront comprises ou combattues, embrassées ou rejetées mais qui auront deux qualités essentielles : la clarté et la continuité.

A l'ère de la communication reine, entendre des informations contradictoires des patrons ou des managers, ne pas pouvoir compter sur un organigramme convaincu, déterminé et mu par un choix, que nous sommes tous libres de critiquer, est une faillite stratégique et entretient une "peur" chez tous ceux qui ont besoin de sentir que, si la situation globale est difficile, les moyens mis en œuvre pour la régler sont eux clairs, précis, réfléchis et stratégiquement constants.

Aussi, de notre point de vue, sur ce dernier point, l'attitude de l'État nous semble éminemment criticable. Criticable en termes de sens car même si le choix de la protection des populations par le confinement peut se discuter en soi, faire ce choix impose de le faire de façon claire, déterminée, pragmatique et absolue. Conseiller aux gens de ne pas sortir de chez eux en les invitant à se rendre aux urnes pour une élection dont notre démocratie a les moyens de se passer sans être en péril, est un non-sens absolu. Et c'est bien cette absence de sens, de continuité de moyen et de clarté qui cristallise un scepticisme chez toute une tranche de la population. En ajoutant à cette absence de sens un discours moralisateur sur les plateaux de télévision, portée par une classe dirigeante, le résultat factuel est inéluctable : l'incivisme s'installe.

Une réaction ambigüe

La réaction de nos concitoyens, en proie à une peur légitime, est également "schizophrénique" et les mêmes comportements s'observent dans le monde de l'entreprise. En l'espèce, malgré une volonté de porter les principes de liberté au firmament des impératifs sociétaux, en cas de crise majeure, cette nécessité s'efface au profit d'une demande de protection quels qu'en soient les moyens. 

De la même façon, par analogie, les nouveaux modes de management faisant la promotion de la liberté des salariés, d'autonomie de moyens et de conduite de travail sont contrebalancés par une demande accrue de protection par la hiérarchie, de guidance importante dans la conduite des actions et surtout d'exigence de sens et de continuité dans le positionnement stratégique des entreprises.

Là encore, c'est le sens qui semble la clé de toute la légitimité des décisions, en présence de sens, les priorités changent, s'assouplissent, la discussion s'ouvre, les points de vue deviennent audibles…

En devenant concrets et réfléchis, les positionnements même difficiles à entendre jouissent d'une efficacité décuplée, d'une critique constructive et non "de principe".

Le confinement décidé par le gouvernement illustre parfaitement cette situation, confrontés à cette réalité difficile, les comportements deviennent calmes, l'entraide s'organise, le civisme s'impose naturellement et certaines valeurs comme le partage et le respect de l'autre retrouvent leurs lettres de noblesse.

Un équilibre à créer

Enfin, aujourd'hui que nous sommes tous confrontés à la réalité du confinement, une autre "schizophrénie" se révèle. En effet l'épisode trouble et inquiétant que nous vivons est sans doute vecteur à plus long terme d'une redéfinition plus globale de notre approche des choses et, dans le même temps, il démontre avec évidence à quel point les supports digitaux sont devenus pour nous tous un espace salvateur. 

Michel Dupuis, Professeur à l’Institut supérieur de philosophie de l’UCLouvain et spécialiste en éthique biomédicale émet l'hypothèse intéressante que cet épisode serait en train de balayer "la norme digitale universelle, qui serait en train de s’installer". Cette situation aurait sans doute pour vertu de nous ramener tous dans une dimension concrète et factuelle et remettrait la Nature au centre de l'équation en nous rappelant, certes avec violence, que c'est avant tout ce concret qui domine nos vies.

Ironiquement, ce sont également ces espaces digitaux qui voient aujourd'hui fleurir les initiatives d'entraide, qui réaffirment les vertus du sens critique et du rire, qui nous permettent à tous de rester en interaction, de profiter de supports de culture d'une richesse infinie… Nous ne sommes pas face à un monde à déconstruire mais devant un nouvel équilibre à créer.