L'écoute, une compétence à développer

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L'écoute, une compétence à développer

3 mars 2020

Dans le sillage des concepts de bienveillance et d’altruisme, l’écoute est une valeur que l’entreprise aime afficher. Mais elle peine parfois à la mettre en pratique, sans toujours mesurer que si elle n’a rien d’innée, l’écoute est une "soft skill" qui se travaille.

Ne pas couper la parole de l’interlocuteur, ne pas interpréter ce qu’il dit avant de l’avoir entendu, ne pas finir les phrases à la place de l’autre... Ce n’est pas une mince affaire que d’écouter. Autant dans le cadre privé que dans celui du travail. Et pourtant, le plus souvent, écouter ne s’apprend pas, comme si cette compétence était innée.  
Depuis quelques années, l’écoute fait l’objet d’une attention nouvelle dans l’entreprise où l’on prend conscience que sa qualité est liée à la performance des équipes. Ecouter est l’une des « softs skills » essentielles répertoriées par différentes études dont celle du World Economic Forum qui la place au nombre des 10 compétences comportementales à maîtriser en 2020. 
Plusieurs raisons expliquent cette redécouverte de l’importance de l’écoute. Structurelle d’abord : l’évolution constante, rapide et peu prévisible du monde économique amène les entreprises à valoriser chez leurs collaborateurs les capacités d’adaptation et d’intelligence des transformations en cours. Les compétences humaines deviennent aussi précieuses que les "hard skills" que sont les compétences techniques et les savoirs métiers, amenés à se transformer profondément.

Une écoute sous pression

Et dans un monde très concurrentiel où la relation avec le consommateur devient critique, la qualité d’écoute et d’empathie des services clients doit être au rendez-vous, estime Alain Zagaroli, ancien directeur général d’une grande entreprise et conseiller en management des startups.
Un second élément vient éclairer ce regain d’intérêt pour l’écoute. Il ne s’agit pas ici de la dimension fonctionnelle et pratique des "soft skills" qui viennent huiler les rouages de l’entreprise, mais de la réalité de l’écoute. Celle-ci pâtit assez souvent de l’écart creusé entre les valeurs affichées par l’entreprise, et la société, et la réalité des pratiques.
Un directeur d’une grande firme informatique impliqué dans le management le dit sans ambages : "On n’a jamais autant parlé d’écoute, d’empathie, de bienveillance, tout en étant sans état d’âme avec les collaborateurs que l’on met sous pression pour arracher toujours plus de résultats."

"Il y a dix ans que la bienveillance est à la mode, et dans le même temps on a diminué drastiquement le nombre des coachs qui avaient été mis en place dans mon entreprise pour apprendre aux gens à se comporter."

Bonne et mauvaise écoute

Alain Zagaroli met l’accent de son côté, avec d’autres professionnels, sur un autre écart. Celui qui sépare l’écoute de la considération. "L’écoute n’est rien sans la considération, le respect de l’autre". Il y aurait donc une mauvaise écoute et une bonne écoute ? 
"Autrefois, poursuit le consultant, une rencontre de 30 secondes du chef d’entreprise dans le couloir suffisait à créer la sensation d’un lien. "Le patron m’a écouté" pouvait dire le salarié manifestant à sa manière de la confusion entre l’écoute et la considération. Aujourd’hui l’écoute ne suffit plus, il faut qu’elle soit suivie d’effet. L’engagement du collaborateur n’est possible que si le manager s’engage lui-même, s’implique. Et seule une écoute active peut donner au collaborateur le sentiment qu’il est considéré, respecté. L’écoute va permettre au salarié de progresser dans son métier. Dans le champ social, en France, le mouvement des Gilets jaunes a révélé la force de la demande de considération. Être écouté sans être entendu apparaît comme un manque blessant de considération, dans la société comme dans l’entreprise. On est là dans la "mauvaise écoute", dans une écoute qui n’en n’est pas une et qui peut produire l’effet inverse à celui escompté par le manager.
L’excès inverse, une écoute trop manifestée, trop appuyée, peut induire un surinvestissement affectif du manager qui risque de perdre de vue l’objectif premier du projet. Il est indispensable de trouver un équilibre entre l’écoute et l’exigence souligne Alain Zagaroli. "La bonne écoute celle qui se traduit par une réponse, qui peut être négative, mais elle donne une réponse importante pour le collaborateur. Elle donne du sens."

Un travail sur soi

L’écoute serait-elle l’apanage du manager, les collaborateurs n’ayant pas besoin de cette compétence ? C’est une compétence humaine, un savoir être, et à ce titre tout le monde est concerné précise le consultant. La capacité d’écoute au sein de l’équipe influe sur son sens du collectif, du partage. Mais l’écoute est primordiale pour le manager confirment les professionnels du management. Il doit savoir écouter pour demander à ses collaborateurs d’écouter à leur tour, de s’écouter les uns les autres. Il doit commencer par s’appliquer les principes de l’écoute avant de les exiger de ses collaborateurs. Et ce n’est, hélas, pas toujours le cas commente le cadre informatique

"Les managers ne sont pas forcément compétents dans l’écoute, continuant à gérer leurs équipes de façon top-down sans percevoir la contradiction avec les valeurs professées de bienveillance et d’écoute". 
La résolution de cette contradiction passe par un apprentissage estiment les professionnels rompus à l’écoute. Il faut admettre que celle-ci ne va pas de soi, et qu’il n’est pas inutile de revenir aux fondamentaux de la relation aux autres. La capacité d’écoute suppose une démarche, un travail sur soi que "le haut de la hiérarchie devrait commencer à faire avant de lancer un mot d’ordre de bienveillance, ou d’altruisme", juge le directeur de la société informatique avant de regretter que la formation à l’écoute ne soit pas un besoin intégré par l’entreprise quand elle considère que "l’écoute est quelque chose d’inné, ça ne s’apprend pas".

"C’est quelque chose qu’on apprend tout petit, c’est une façon d’être" corrige Alain Zagaroli. Mais faute de bénéficier de ce savoir être, il est possible de travailler cette compétence estime-t-il, "comme tous les principes managériaux qui suscitent l’engagement. L’intelligence de la relation humaine qui va faciliter la mise en œuvre d’une bonne écoute est quelque chose qui se travaille." Nous sommes donc condamnés à l’intelligence.