Approche holistique dans le choix d’orientations stratégiques de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche : pourquoi faire ?

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Approche holistique dans le choix d’orientations stratégiques de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche : pourquoi faire ?

15 août 2023

A l’heure où l’actualité de l’environnement supérieur témoigne d’un contexte incertain, les questions relatives à la capacité des organisations à prendre des décisions stratégiques se posent avec une acuité particulière. Il s’agit de faire face aux influences polysémiques, voire contradictoires des parties prenantes qui tentent de structurer et de diriger cet écosystème académique concurrentiel : phénomène de grande démission[1], évolution des pratiques éducatives et pédagogiques[2], incertitudes relatives aux évolutions concurrentielles[3] et perspectives démographiques[4]

Une des problématiques qui tend à s’imposer aux acteurs de la formation supérieure est de savoir comment réussir à prendre collectivement, de façon partenariale ou pas, un virage stratégique intégrant les dimensions écologique, sociétale, éthique qui répondent aux attentes des parties prenantes. Le monde académique est une partie prenante majeure dans ces mutations et transitions profondes de nos sociétés même si elle n’est pas la seule. La partie prenante « étudiante » intègre cette chaîne de valeur dédiée aux bifurcations intellectuelles et donc académiques car il n’est plus question de vouloir sauver le « modèle de la diligence » à tout prix face aux bouleversements globaux.

La connexion entre les programmes académiques et les attentes des parties prenantes économiques, sociales et sociétales qui s’engagent (quelquefois malgré elles) sur des modèles économiques répond à une revendication de modèle de croissance plus vertueux, plus en conformité aux enjeux et défis actuels (énergétiques, climatiques, environnementaux, géopolitiques, sanitaires, culturels, idéologiques…).

Dans quelle mesure l’adoption d’une grille de lecture holistique permet-elle d’appréhender de manière positive les orientations stratégiques ?

Cette problématique va être abordée par quatre entrées : d’abord par les enjeux opérationnels de la gouvernance et les risques stratégiques concernés. Ensuite par la mise en évidence des caractéristiques de l’approche holistique  et de l’approche réductionniste. Nous conclurons par la mise en avant d’une proposition d’articulation entre ses deux approches.

Enjeux opérationnels de la gouvernance : le processus d’embarquement des parties prenantes

La gouvernance désigne l'ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d'information et de surveillance qui permettent d'assurer le bon fonctionnement et le contrôle d'une organisation. Nous voici confrontés à ce défi oxymorique qui doit prendre en compte des oppositions et des contradictions puisque les enjeux extra-financiers identifiés dans cette logique de transition d’un modèle One Best Way, conventionnel (une académie plénipotentiaire et des institutions qui élèveraient des conventions épistémologiques idéales) vers un paradigme hétérodoxe sensible aux évolutions.

La montée en puissance de nouveaux acteurs notamment issus de l’univers numérique et digital, entraine une réflexion sur l’opportunité d’un mode de gouvernance élargie qui puisse correspondre aux évolutions du marché de l’enseignement supérieur. Dans ce cadre, la notion d’attractivité revêt un caractère essentiel. Les établissements sont inscrits dans une logique d’anticipation pour continuer d’attirer étudiants et professeurs de haut niveau.

L’engagement dans l’enseignement supérieur dépend largement de la satisfaction des étudiants à l’égard du travail réalisé. Les architectures éducatives à vocation professionnalisantes permettent d’appréhender une fonction, un métier dans une réalité.[5] Plus cette réalité se rapproche de leurs attentes, plus grand sera leur engagement. Par ailleurs, leur offrir un environnement qui les soutient constitue une stratégie efficace pour développer chez eux un fort sentiment d’engagement. Les attentes lors de l’intégration dans l’enseignement supérieur portent également sur l’ambition de réfléchir et de travailler sur de nouvelles perspectives et alternatives porteuses de progrès global. Cela implique pour les établissements d’agir en concertation avec les acteurs économiques et l’ensemble de ses parties prenantes à la fois internes et externes.

En somme, faire du développement un levier de durabilité et de transition pour appliquer les conseils en stratégie de Churchill : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne vous prenne par la gorge. »

Risques stratégiques

La fonction première d’un système étant sa propre conservation, il doit rester dans un état constant, orienté vers un optimum. Dans cette optique, les établissements de l’enseignement supérieur, quel que soit leur nature ou statut, sont appréhendés comme des organisations à mission éducative.

Ces organisations définissent des compétences pour répondre à des défis globaux (RSE, développement durable, performances écologiques, climatiques, sociétales, réputationnelles…). Cela afin que ces capacités dynamiques se transforment en avantages concurrentiels pour permettre à ces organisations d’obtenir une identité idiosyncrasique. Dans cette approche, les décisions stratégiques se doivent de fournir des réponses idoines qui concourent à l’évolution des capacités cognitives et opérationnelles comme à l’atteinte des objectifs de performances qualitatives et quantitatives.

Dans des établissements dont l’architecture éducative est axée sur la transmission de connaissance, la recherche académique relève le défi de produire un travail de recherche qui alimente une vision prospective. Initiant un cercle vertueux, cette production alimente ensuite l’évolution du contenu des programmes pour accompagner les attentes des étudiants. Pour les formations professionnalisantes, c’est le niveau de carrière réalisé après l’obtention d’un titre qui demeure un critère fondamental d’adhésion de la part des étudiants. Le dialogue constant avec le terrain revêt un caractère primordial pour mettre en place des actions de formation pertinentes qui répondent aux attentes des acteurs économiques.

Par la prédominance des parties prenantes humaines dans leur fonctionnement, les établissements d’enseignement supérieur répondent à des fonctionnements complexes : la complexité caractérise le comportement d'un système dont les composants interagissent et de façon non linéaire, ce qui se traduit par un comportement difficilement prédictible. Ce diagnostic rend de fait certains systèmes vulnérables, fébriles, fragiles car enchevêtré dans des tendances entropiques, qui peuvent se caractériser par une rationalité limitée. 

Issu des sciences médicales, le débat « approche holiste contre approche réductionniste » se retrouve ainsi  dans la problématique de la prise de décision stratégique des établissements d’enseignement supérieur.

En l’état, les deux raisonnements peuvent sembler antagonistes, l’objet de cette contribution est d’identifier leurs caractéristiques et d’envisager les articulations possibles lors de la prise de décision stratégique[6] au sein des organisations éducatives.

Approche holiste : une dynamique de la motivation interactionnelle

Holistique vient du grec Holos qui signifie la totalité, dans une approche holistique, le tout est supérieur à la somme des parties qui la composent. C’est la forme du tout qui définit les parties. Par exemple, une voile à l’horizon signale un bateau sans qu’il y ait besoin de voir la coque et le gouvernail.

Dans une acceptation de management stratégique, l’approche holiste appliquée  à des systèmes humains complexes consiste à expliquer les faits individuels  par d’autres faits individuels entièrement ou fortement déterminés par le tout dont il fait partie. Pour cette approche systémique, les individus ne sont que des acteurs passifs. 

Il s’agit d’un système de pensée de gestion des ressources pour lequel  les caractéristiques d’une partie prenante ne peuvent être connues que lorsqu’on l’appréhende dans son ensemble.

Sur un terrain d’étude singulier, six étapes clés d’un cadre décisionnel de gestion holistique ont été exposées en 1998 par Allan Savory :

  1. Définir ce que l’on gère ;
  2. Définir les objectifs après avoir déterminé ce qui est voulu dans l’immédiat et dans le futur ;
  3. Définir et surveiller des indicateurs objectifs ;
  4. Ne pas limiter les outils de gestion que l’on utilise ;
  5. Tester les décisions par questionnaire auprès des parties prenantes pour s’assurer de leurs pertinences globales ;
  6. Mettre en place une boucle de rétro action qui inclut la surveillance des premiers signes de sous performance afin de réaliser les ajustements adaptés.

Au regard de ses éléments, la perception holiste semble prôner l’unité dans un cadre de pensée complexe qui peut correspondre aux enjeux d’une prise de décision stratégique dans l’enseignement supérieur.  Considérant que la stratégie implique de fédérer les stakeholders, l’approche holiste inspire des prises de décision qui, si elles peuvent être pertinentes pour sécuriser l’organisation peut également être un facteur générateur d’incident en mésestimant les éléments du contrat psychologique d’adhésion individuel

Approche réductionniste : une réduction souhaitable de la prise en compte des interactions pour expliquer l’évolution d’un système ?

Dans une grille de lecture « humienne », la motivation humaine suppose qu’aucun état cognitif ne peut à lui seul entraîner un processus de motivation rationnelle. Une approche réductionniste revêt des avantages qu’il convient d’exposer.

Le réductionnisme tente de créer une description unifiée du monde en le réduisant à un ensemble de composants élémentaires à partir desquels tout phénomène peut être expliqué comme une combinaison de ces parties. Le réductionnisme est une méthodologie qui considère que les caractéristiques de niveau supérieur d’un système entier proviennent de composants élémentaires et donc les caractéristiques de niveau supérieur d’un système peuvent être largement ignorées dans une enquête, ce qui nous permet de nous concentrer sur les parties de niveau inférieur. Des choses distinctes peuvent ainsi être traitées comme identiques. Ce type d’explication peut être défini comme réducteur, par opposition avec des systèmes qui considèrent plusieurs sortes de causalité [7].

Les sciences sociales sont un exemple d’une approche réductionniste en ce sens qu’elle exige que les causes  des phénomènes sociaux soient explicables à travers la façon dont ils résultent des motifs et des actions des agents individuels.

L’accent est mis sur le fait que les phénomènes complexes doivent être expliqués par une considération des phénomènes de nature simple

La mise en place du Nutri-score dans l’alimentation est un exemple de réductionnisme que nous connaissons tous. Il voit les aliments comme une somme de nutriments (sucre, graisses, sel...). Un produit classé D ou E est plus mauvais pour la santé qu’un produit classé A ou B car il est considéré de façon unique. Toutes les catégories d’huiles sont mal classées et les catégories de salades sont bien classées. Pourtant, la combinaison de l’huile dans la salade génère un nouvel ensemble équilibré.

Cette approche peut se manifester par une considération « clinique », une observation étiologique de chaque expression d’influence de chaque partie prenante individuelle. Du grec klinica, littéralement « au pied du lit du malade », la clinique se définit d’abord comme une démarche de recherche et d’explication par la considération du symptôme.

Dans le cadre de la prise de décision stratégique au sein des organisations éducatives, cela peut s’interpréter comme la considération d’un élément basique ou d’un ressenti individuel de chaque acteur de l’écosystème apprenant pour orienter les décideurs.

En considérant la causalité individuelle, une approche réductionniste apparait donc également  comme un élément constitutif d’une prise de décision stratégique efficiente.

Conclusion

Pour l’holisme, c’est le niveau supérieur (le tout) qui impose l’ordre aux autres niveaux, alors que pour le réductionnisme, c’est le niveau inférieur qui propage ses effets organisateurs aux niveaux supérieurs. Mais les deux considèrent le modèle stratifié du monde comme réel.

Ces deux approches peuvent être complémentaires au sein d’un Comité de Direction ou d’un Comité de Pilotage. Leur hétérogénéité apparente n’implique pas nécessairement un antagonisme. Le mot complémentaire n’implique pas une homogénéité.

Dans la pratique, les concertations autour de décisions stratégiques à prendre peuvent achopper, en fonction de l’inclination pour l’une ou l’autre des approches sur la perception subjective de normalité.  Ce qui apparait « normal » pour les un semblent « anormal » pour les autres. Pour articuler les deux, il peut être opportun de se rappeler que la véritable définition du normal et de l’anormal dépend du cadre culturel auquel on se réfère. Doit-on adopter la même approche selon qu’il s’agisse d’une décision liée au recrutement de ressources humaines académique, à une croissance externe de l’établissement, ou à la formation de personnel éducatif… ?

Ce questionnement de la part de ces organisations, peut être synthétisé autour d’une relation stratégique dyadique qui associe à la fois une pensée stratégique cognitive et biologique.

En tant que praticien, nous avons identifié trois principales recommandations qui définiraient des jalons de maturité cognitifs, culturels, organisationnels et donc stratégiques :

  1. Interroger une rationalité parfois limitée de l’enseignement supérieur à savoir :

► dépasser l’approche one best way académique, pour intégrer un modèle dynamique qui intègre des éléments d’une approche andragogique.

  • La pleine intégration d’un modèle pédagogique, même partiel ou partial, au sein de la chaîne de création de valeurs.
  • S’engager dans  une transition holiste nécessaire pour éclairer les décisions stratégiques :

► appréhender la gouvernance de cet écosystème en intégrant des notions d’agilité et d’intelligence collective Les deux approches sont donc porteuses de sens mais peuvent être utilisées tour à tour en fonction de la  problématique stratégique posée et des parties prenantes concernées. Dans une approche holiste, l’efficience de la stratégie adoptée peut être minorée par une moindre adhésion des parties prenantes humaines. Dans une approche réductionniste, la pertinence de la décision stratégique adoptée  peut être considérée comme une réponse trop simpliste pour répondre à  un enjeu complexe et avoir des effets limités.


[1] Work Trend Index: Microsoft’s latest research on the ways we work.

[2] Pédagogie 3.0 - Volume 5 No.1 - La revue - Management & Data Science (management-datascience.org)

[3] L’enseignement supérieur va-t-il être disrupté par de nouveaux acteurs ? - Management & Data Science (management-datascience.org)

[4] les évolutions de l'enseignement supérieur depuis 50 ans : croissance et diversification - EESR8 (enseignementsup-recherche.gouv.fr)

[5] L’évolution du contrat psychologique d’apprentis du supérieur [1] | Cairn.info

[6] https://www.cairn.info/clinique-du-pouvoir--9782749206929-page-73.htm

[7] https://www.universalis.fr/encyclopedie/reductionnisme-et-holisme/