La coopétition, c’est quoi et quel intérêt pour les organisations ? L’exemple de l’Enseignement Supérieur français

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La coopétition, c’est quoi et quel intérêt pour les organisations ? L’exemple de l’Enseignement Supérieur français

8 juin 2023

Disposant d’une littérature abondante depuis trois décennies, le terme coopétition est encore surligné en rouge sur un logiciel de traitement de texte.  Cette anecdote illustre presque à elle seule la nécessité de définir le terme.

Popularisé en 1996 par l’ouvrage de Nalebuff et Brandenburger intitulé justement Co-opétition, le terme est un néologisme né de la contraction des termes coopération et compétition. La coopétition consiste à développer simultanément des relations de coopération et de compétition avec le même partenaire-adversaire. Il s’agit d’articuler le paradigme concurrentiel d’affrontement entre les organisations et le paradigme relationnel de coopération. Pour simplifier, il s’agit de coopérer avec ses concurrents.

Au sein d’un marché ouvert et concurrentiel comme l’enseignement supérieur français l’est désormais, les organisations à mission éducative qui le composent se trouvent confrontées à des défis mais aussi à des opportunités nouvelles pour appréhender turbulences et instabilités. Beaucoup d’entre elles se tournent pour cela vers des stratégies de coopétition.

Les différentes formes de coopétition possibles

Il existe différentes formes de coopétition et il est possible de coopérer avec des compétiteurs de plusieurs manières. On parle par exemple de coopétition technologique quand deux entreprises concurrentes coopèrent dans le cadre de l’élaboration et la production d’un produit que chacun commercialise ensuite de son côté comme c’est le cas entre Airbus et Boeing. On parle également de coopétition de marché quand la coopération concerne au contraire la commercialisation d’un produit comme avec Amazon et Monoprix.  

La coopétition peut aussi être horizontale quand deux concurrents coopèrent sur des activités liées à leur marché ou verticale lorsqu’il s’agit d’une relation de type client / fournisseur. Samsung et Apple sont par exemple rivaux sur le marché des smartphones mais Samsung fournit Apple en microprocesseur pour ses smartphones.

La coopétition, une stratégie contre-intuitive

D’un point de vue logique, la coopétition est une stratégie qui peut sembler contre-intuitive, en particulier dans une société basée sur un modèle économique privilégiant la concurrence et la recherche de parts de marché.

Si la coopétition permet d’accéder à des ressources complémentaires, de mutualiser des compétences et de partager des ressources pour financer des projets coûteux, elle pose aussi la question de l’équilibre et de l’honnêteté de la coopération. Car beaucoup d’entreprises craignent aussi d’être les perdants de ce type de stratégie qui expose à un risque de perte et de pillage des connaissances et des savoirs-faires par le coopétiteur.[1]

Le cas de l’Enseignement Supérieur français

Dans le secteur de l’Enseignement Supérieur français, « deux technologies éducatives dominent l’enseignement supérieur : une technologie de production et de transmission des savoirs dont la valeur n’est pas mesurée par leur utilité directe, et une technologie d’enseignement à finalité professionnelle » (Menger, 2015).

Dans le premier cas, la recherche est l’élément clef de hiérarchisations des établissements. Les universités et les établissements favorisant la recherche sont situées au sommet. Dans le second cas, celui des écoles professionnelles, leur réussite va dépendre d’indicateurs de création de capital humain employable (taux et vitesse d’insertion et niveau de salaire d’embauche des diplômés, répartition sectorielle et géographique des diplômés…)

La coopétition est une stratégie utilisée depuis de nombreuses années par les acteurs de ces deux modèles. Elle leur a permis de se développer et de se rapprocher. Elle établit « un cadre d’action coopérative ou collaborative établissant un lien entre au moins deux institutions qui implique des échanges, du partage, du co-développement, etc. » (Gulati, 1995). Elle permet surtout de rassembler les acteurs compétents et de mutualiser les ressources intellectuelles et matérielles indispensables afin de proposer des projets de formation en adéquation avec les attentes des acteurs du marché. (Couston, 2018).

La mise en place de doubles diplômes ou de diplômes joints (comme entre l’école des Mines et Audencia ou l’EM Normandie et UniLasalle sur une filière Marketing, communication et ingénierie des produits agroalimentaires.[2]), les projets de recherche dans le cadre de laboratoires communs (comme dans le cas de Montpellier Recherche en Management qui rassemblent les équipes de recherche des établissement en Sciences de Gestion publics et privés montpelliérains ; Couston & Pignatel, 2018), les activités de promotion à l’international (comme entre l’ENA et l’Université Aix-Marseille ; Couston et al., 2019) ou les concours communs d’intégration (comme dans la cas des concours post-prépa commerciales et ingénieurs) sont quelques exemples de stratégies de coopétition au sein de l’Enseignement Supérieur.

Quelles leçons tirées de l’exemple de l’ESR pour les autres secteurs ?

Les stratégies de coopétition des acteurs de l’Enseignement Supérieur leur ont permis de gagner en visibilité et en dynamisme et sont source de performance (notamment meilleure présence dans les classements internationaux) et d’innovations pédagogiques. Elles tendent d’ailleurs à se multiplier avec succès alors que les oppositions entre institutions, notamment publiques et privées, semblaient empêcher de tels rapprochements.    

Les critères qui participent à la réussite de ces stratégies de coopétition sont l’équité, la confiance, la transparence, une complémentarité conjointe et une institutionnalisation des relations. Cette notion « d’institutionnalisation » prend un sens en particulier dans des territoires où les relations informelles sont particulièrement développées et dans des secteurs éloignés des cultures de partage et de mise en commun. La formalisation d’une stratégie de coopétition sécurise sa réalisation en dépassant les acteurs du moment pour ancrer une vision long terme constructive et moteur.

L’exemple de l’Enseignement Supérieur français montre que les stratégies de coopétition nécessitent un changement de paradigme à tous les niveaux de l’organisation car de telles stratégies peuvent être sources de dissymétrie et de dissimulation d’information, de conflit d’intérêts et d’agenda caché. Au-delà de ces pièges, la place d’une réelle intention stratégique « positive » est essentielle pour transcender ses risques et atteindre ses objectifs de performance. La coopétition doit être perçue comme une opportunité d’apprentissage destinée à combler un fossé de connaissances ou de compétences identifié.

Conclusion

La réussite des stratégies de coopétition dans l’Enseignement Supérieur montre que coopération et compétition sont deux stratégies qui peuvent coexister. La coopétition participe à réduire les turbulences que connaissent les établissements et constitue un levier de développement. Pour les organisations, la coopétition combine les avantages des deux modes stratégiques mais n’est pas sans difficulté. Mais c’est une stratégie qui recèle énormément de potentialité car elle permet de bénéficier à la fois des relations coopératives et concurrentielles. Plus important, elle permet de sécuriser les institutions tout en respectant leur singularité et de préserver une pression concurrentielle favorable aux innovations.

Dans la pratique, les freins restent nombreux. S’inscrire dans une stratégie de coopétition, c’est dépasser la première phase de déni d’une situation ou de manque d’une compréhension stratégique. C’est également un investissement fort en communication interne et externe pour crédibiliser le projet. La coopétition peut ainsi sembler un mode relationnel complexe qui dépend grandement des questions de management et de gouvernance et des personnes en charge. Elle peut générer des frustrations qui soumettent l’adoption de cette stratégie à des états d’âmes individuels.

Pour toute organisation et tout secteur, ce sont là ses principales difficultés. Mais l’exemple des institutions d’Enseignement Supérieur, qui ont su faire évoluer leur culture organisationnelle pour mettre efficacement en place des stratégies de coopétition, montre pourtant que le jeu en vaut certainement la chandelle.

Bibliographie

Couston, A., 2018. Les stratégies d’alliance à l’international des universités françaises et des écoles de service public : l’apport de l’analyse en termes de coopétition. Gestion et management public, Volume 4, pp. 13-29.

GULATI, 1995. Social Structure and Alliance Formation Patterns : A Longitudinal Analysis. Administrative Science QuarterL, Volume 404, pp. 619-652.

Menger, P. M. C. &. H. D., 2015. La concurrence positionnelle dans l'enseignement supérieur: Les grandes écoles de commerce françaises et leur académisation. Revue économique, Volume 66, pp. 237-288.

MUSSELIN, 2008. Vers un marché international de l'enseignement supérieur ?. Critique internationale, 2(39), pp. 13-24.


[1] (74) Distinguer les coopétitions horizontales et verticales - avec Frédéric Le Roy - YouTube

[2] https://www.letudiant.fr/etudes/ecole-ingenieur/double-diplome-ingenieur-manager-dans-quelles-grandes-ecoles-les-preparer.html