Apprentissage en Allemagne

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Apprentissage en Allemagne

26 septembre 2018

L’Allemagne est un des pays, à l’instar de la Suisse (voir article OCM sur l’apprentissage en Suisse), où l’apprentissage est un exemple de réussite. Le pays compte environ 3 fois plus d’apprentis qu’en France et un taux de chômage des jeunes 3 fois moindre, ce mode de formation semble donc offrir une garantie solide contre le risque de chômage. L’Institut allemand de recherche sur le marché du travail (IAB) analyse le modèle d’apprentissage outre-Rhin comme "le secret de la compétitivité du pays".

Le pays compte environ 3 fois plus d’apprentis qu’en France et un taux de chômage des jeunes 3 fois moindre, ce mode de formation semble donc offrir une garantie solide contre le risque de chômage.

"Les jeunes Allemands, pour qui l’apprentissage est une voie d’excellence valorisée par les familles et par les entreprises, ont peu de mal à intégrer le marché du travail et peuvent largement espérer évoluer dans leur carrière", assure Bertrand Martinot, spécialiste du travail et de la formation, citant également les exemples suisses, autrichiens et hollandais. Il déplore qu’en France, "l’obsession du diplôme, l’hétérogénéité des parcours et la complexité des circuits relèguent, de fait, l’apprentissage au fond de la classe des filières de formation".
Le système de formation en alternance fut créé sous le chancelier Bismarck, sur lui repose la "toute-puissance économique allemande", enviée de la plupart des États du vieux continent.

Depuis cent cinquante ans, il nourrit les entreprises allemandes d’une main-d’œuvre qualifiée dont elles ont besoin, assurant à sa jeunesse une formation pérenne et des perspectives d’embauche réelles. Le mode de fonctionnement de la filière apprentissage réduit de façon spectaculaire le chômage des jeunes : 7,3 % en 2015 en Allemagne, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), contre 22,4 % en zone euro, et 24,7 % en France.

Une partie de la réussite du modèle Allemand repose sur une recette qui fait également le succès du modèle Suisse : les entreprises sont des acteurs moteurs de l’apprentissage dans le pays.
De l’autre côté du Rhin, un principe qui peut, de prime abord, paraître déroutant pour un français, existe : certains métiers ne peuvent être exercés qu’après avoir été enseignés et pratiqués au sein de la filière apprentissage.  Au total, 55% de la population active allemande s’est formée sur les bancs de l’apprentissage et près de 66% des apprentis sont embauchés à l’issue de leur formation, contre seulement 33% pour les Français. Enfin, au contraire d’une quasi spécificité de l’apprentissage en France aux métiers dits « de production », ce sont dans les services que les jeunes apprentis allemands officient à plus de 59 %.

La position centrale des entreprises

L’organisation de la relation emploi-formation est fort différente de notre modèle national :  "en Allemagne, tout part des entreprises", explique Birgit Scheeberg, de la Chambre de Commerce de Hambourg. Historiquement, ce sont elles qui ont fondé les premiers centres d’apprentissage et qui, aujourd’hui, fixent le nombre de place des apprentis dans leurs propres structures par anticipation de leurs besoins à la lecture de leurs investissements et de leurs objectifs commerciaux. Les pouvoirs publics n’existent que pour garantir un cadre légal et agir en tant qu’arbitre.

Cet ancrage dans la Real Economy permet à toute la chaine de la formation de la jeunesse de fonctionner par anticipation quand le modèle français et sa lenteur structurelle fonctionne par réaction, et donc en décalage permanent face au Marché.

Selon le Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Cirac), les entreprises investissent 30 % de plus dans la formation continue par salarié que leurs homologues françaises.

Les entreprises allemandes financent, sans subvention, les apprentis qu’elles accueillent et les maîtres d’apprentissage qui les encadrent et définissent également, avec les syndicats de salariés, et sous la surveillance de la chambre consulaire, le contenu et l’évolution des formations prodiguées à la jeunesse. C’est ce double investissement qui selon OCM, est le véritable moteur de la réussite du système tout entier :

– Investir monétairement et donc s’impliquer dans le choix des apprentis et la qualité de sa formation,

– Investir sur l’humain en montrant que se développer économiquement nécessite des hommes et des femmes compétents et en lesquels l’entreprise croit.

L’apprentissage est, en Allemagne, soumis à une sélection exigeante, les entreprises envisagent cette forme de contrat et de formation comme étant souvent une première étape avant une embauche définitive. Les postes ouverts sont des emplois de qualification moyenne, garantissant un accès à l’emploi et une possibilité d’évolution interne par la suite. Les entreprises, en s’impliquant ainsi dès le début de la formation, ont la garantie d’avoir à disposition une main d’œuvre qualifiée, « nourrie » à la culture interne.

Nous sommes donc loin de la vision française actuelle, associant les apprentis à une situation d’échec scolaire, l’apprentissage étant encore perçu trop souvent comme une simple façon de réduire les coûts, les entreprises enchainant ainsi les contrats et les apprentis, sans embaucher ceux-ci à la fin de leur formation. Cette image dégradée et dégradante de ce mode d’enseignement demeure un des freins principaux à toutes les politiques successives ayant tenté de la moderniser.

Il est vrai qu’en France, le coût de la formation est principalement supporté par l’État et les régions, les entreprises profitant de nombreuses exonérations de cotisations sociales, d’aide pour les employeurs dont la complexité et l’hétérogénéité ne traduisent qu’une absence de politique structurée dans son ensemble.

Le fonctionnement est tout autre en Allemagne, ce sont les entreprises qui prennent en charge la plus grande partie des coûts, pouvant ainsi planifier leurs investissements à venir, au contraire des entreprises françaises, impuissantes face à l’instabilité des aides financières, évoluant chaque année et créant une versatilité non propice à la planification dont elles ont besoin.

Une partie de la réussite du modèle Allemand repose sur une recette qui fait également le succès du modèle Suisse : les entreprises sont des acteurs moteurs de l’apprentissage dans le pays

Une organisation particulièrement efficace

En Allemagne, la loi sur la formation professionnelle (Berufsbildungsgesetz) dispose que, pour les 331 professions d’employés et d’ouvriers qualifiés entrant dans son champ, la formation initiale ne peut être accomplie que par la voie de l’apprentissage.  Ainsi, les emplois non qualifiés ne sont pas concernés par cette obligation, conférant mécaniquement à l’apprentissage une image bien plus valorisante que celle renvoyée par le modèle français.

Les apprentis français passent deux fois moins de temps en entreprise que leurs homologues allemands. De surcroît, ils ne disposent pas toujours d’un véritable encadrement.

Pour rappel, la France compte 0,4 millions d’apprentis, l’Allemagne, 1,4 millions. Les apprentis français ont en moyenne 18 ans lorsqu’ils entrent en apprentissage, les allemands en ont 20. La formation française dure en moyenne 19 mois quand l’allemande se déroule sur 36 mois. La majorité des apprentis allemands sont employés dans les services (59,4 % contre 42,6 % en France) quand les français se retrouvent plus en production (57,4 % contre 40,6 % Outre-Rhin). Mais la différence essentielle est, qu’à l’issue de leur formation, 67 % des apprentis allemands sont recrutés par la société qui les a formés contre 33 % en France.

En termes d’organisation structurelle, les différences aussi sont grandes : en Allemagne, tout ce qui se rapporte à la formation, qu’elle soit professionnelle, générale ou universitaire est lié à un seul ministère, ayant donc un point de vue global et complet sur les différentes offres, pouvant faire évoluer celles-ci de façon harmonieuse.

Les Länders mettent en place la politique nationale et assurent seuls la tutelle et le financement des écoles professionnelles en partenariat avec les entreprises et les syndicats. En France, l’organisation est bien plus complexe et la décentralisation beaucoup moins efficace.

En France, les offres des entreprises et les demandes des jeunes restent éclatées entre le service public de l’emploi (SPE), Pôle emploi et les missions locales et ne sont pas rassemblées. En Allemagne, en revanche, l’équivalent de Pôle emploi propose une entrée spécifique pour les apprentis sur son site, avec des offres claires classées selon les référentiels des 331 métiers éligibles à l’apprentissage… mises à jour régulièrement selon les besoins des entreprises : un véritable gage de clarté, d’efficacité et d’efficience.

Enfin, en ce qui concerne le contenu de la formation elle-même, en Allemagne la place de l’enseignement général est bien plus réduite qu’en France, les apprentissages généraux sont tous déclinés en fonction de la thématique principale technique de la formation. Le pays mise avant tout sur l’efficacité, le temps passé en centre de formation est inférieur à celui passé en France, les jeunes allemands évoluant principalement en entreprise.

Ce choix tout pragmatique peut légitimement être contesté. En effet, dans un monde où la communication écrite et orale devient, à tous niveaux, une exigence fondamentale, priver les jeunes d’un enseignement classique en parallèle de l’enseignement professionnel semble contestable. De la même façon, nous sommes naturellement enclins, en tant que français, à prôner l’éclectisme de la culture générale dans l’enseignement… Et pourtant, il faut bien avouer que les chiffres nous donnent ironiquement tort en la matière (tort dans les faits et non dans la philosophie de notre point de vue…). En effet, l’efficacité allemande explique sans doute la différence de taux d’échec relativement importante aux examens (18 % d’échec en CAP contre 8 % en Allemagne pour l’ensemble des formations). D’autre part parce que le choix français du maintien de l’enseignement classique dans la formation professionnelle ne se traduit malheureusement pas dans les compétences telles que mesurées par l’enquête PISA de l’OCDE : les jeunes français diplômés du second cycle de l’enseignement secondaire ont, en moyenne, des compétences générales sensiblement plus faibles que leurs homologues allemands à l’âge de quinze ans.

Un système structurel fragilisé par des réalités conjoncturelles

Une réalité sociale vient cependant bouleverser la limpidité du système allemand : la courbe démographique diminue dans le pays, alors que celle-ci augmente en France. Les jeunes allemands doivent donc être d’une extrême efficacité et leur formation pertinente, alors que dans l’hexagone, la main d’œuvre disponible est plus abondante.

Jusqu’alors voie royale, la formation professionnelle perd de son aura, ses rangs commençant à se vider. Mais le déclin démographique n’explique pas à lui seul ce désamour progressif, l’image elle-même de la formation semble ne plus correspondre totalement aux métiers faisant envie aux plus jeunes. En 2017, ce sont 43 500 postes qui n’ont pas été pourvus, contre 17 500 en 2009. Ce problème d’adéquation entre l’offre à demande, concerne différents domaines, et est de plus accentué par le déploiement géographique des offres, les candidatures étant beaucoup plus nombreuses dans l’Ouest que dans le reste du pays.

La jeunesse Allemande, semble être rattrapée par la course mondiale aux diplômes, le nombre d’apprentis ayant "Abitur" (baccalauréat) en poche n’a jamais été aussi élevé passant de 18,3 % en 2009 à 27,1 % en 2016. Les entreprises réservent désormais elles-mêmes des places d’apprentissage accessibles aux seuls bacheliers, opérant ainsi un virage notable dans leur philosophie et dénaturant peut être par la même la spécificité qui faisait sa réussite.