Effet de shrinkflation des notes dans l'enseignement supérieur.

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Effet de shrinkflation des notes dans l'enseignement supérieur.

24 octobre 2023

L’information a pu faire sourire les professionnels du secteur : le GPA moyen des étudiants qui entrent à Harvard cette année est de 3.84/4 contre 3.41 en l’an 2000. Les étudiants qui intègrent Harvard sont donc 26 % plus brillants !

Le GPA est une note ou un "Grade" donné à chaque étudiant américain en fonction de la moyenne reçue dans chacun de ses matières étudiées au lycée ou durant vos études supérieures. C'est aussi un point de référence essentiel pour les universités américaines lors des processus de sélection.

La progression est perceptible quelle que soit la nature de l’établissement : 2.75 dans le public en 1983, 3.1 en 2013 ; 2.95 dans les écoles privées en 1983 puis 3.3 trente ans plus tard. Soit respectivement des progressions de 27 % dans le premier cas et de 18 % dans le second.

En France également, il est aisé de constater l’évolution des mentions au bac : 6.7 % des lycéens obtenaient la mention Bien ou Très bien au bac en 2000 contre 21.2 % en 2019.

Les nouveaux étudiants dans l’enseignement supérieur seraient plus doués, plus cultivés, plus intelligents que leurs ainés dans des proportions significatives.

Ces données interpellent d’autant plus que les études menées en amont font état d’un niveau qui se dégrade sensiblement. Concernant les tests d’orthographe en CM2 2021, les élèves font en moyenne 19,4 erreurs contre 10,7 en 1987. La baisse des résultats continue de concerner l’ensemble des élèves, quels que soient leur sexe et leur âge.  De même, les résultats de l’étude PISA (Programme International pour le suivi des acquis des élèves) de 2018 indique que la proportion des élèves de 15 ans considérés « bas niveaux » dans l’échelle est passée de 15 % en 2000 à 21 % en 2018.

Nous sommes confrontés à une situation contradictoire : l’évolution du niveau serait en baisse jusqu’à l’évaluation qui permet d’intégrer l’enseignement supérieur ?

Comment appréhender ce phénomène ? D’abord, il peut être pertinent d’aborder les évolutions historiques, sociales et culturelles qui justifient une évolution effective des résultats des candidats. Ensuite nous intégrerons notre réflexion dans le périmètre de l’évolution de l’enseignement supérieur pour envisager les perspectives et les impacts que peuvent générer cette situation.

Une massification liée à une évolution démographique

L’enseignement supérieur en France connaît une très forte massification à partir des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990. La part de la population universitaire dans la population française est ainsi multipliée par 5 entre 1960 et l’an 2000. Par comparaison, la proportion d’étudiants dans la population française n’est multipliée que par 2 entre 1930 et 1960. Au milieu des années 1990, plus de 40 % d’une classe d’âge sort diplômée de l’enseignement supérieur, contre seulement 20 % dans les années 1970. La loi Faure de 1969 ancre le fait que la mission de l’enseignement supérieur est de former le plus grand nombre.

Considérant l’effet d’une génération sur l’autre, nous pouvons considérer l’impact de l'augmentation du niveau des candidats depuis les années 1990 grâce à un capital culturel parental de plus en plus important. "La démocratisation de l'école, qui a commencé dès les années 1960, fait que les élèves actuels ont plus souvent des parents qui ont fait des études plus longues que les générations précédentes, détaille le syndicat Snes FSU. Ces parents auraient davantage de capital culturel scolairement rentable à transmettre à leurs enfants."

Une évolution dans les attendus du diplôme.

La généralisation de l’accès à un diplôme entraine une perte de valeur, qu’elle soit perçue ou réelle. Dans les années 1970, « le niveau du bac était particulièrement élevé au niveau des connaissances. Aujourd'hui, les attentes sont davantage tournées vers des concepts généraux : il faut savoir bricoler avec des concepts philosophiques ou savoir problématiser » explique le sociologue Patrick Rayou »

L’année 1984 (loi Savary) marque une rupture, l’université a désormais pour mission de participer également à la croissance économique et à la politique de l’emploi sur son territoire. Le bac professionnel est créé en 1985. Jusqu’au début du XXIème siècle ce sont les filières technologiques (IUT et BTS) qui contribuent à l’évolution en volume des effectifs du supérieur.

Passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage

Dans un système économique qui nécessite, au-delà de compétences propres à chaque métier, des personnes dotées de compétences relationnelles pour le travail en équipe et de compétences cognitives, ces difficultés poussent à « passer d’un paradigme de l’enseignement à un paradigme de l’apprentissage par compétences ».

La stratégie d’enseignement basée sur un fractionnement et un morcellement des disciplines a longtemps été le modèle privilégié. Dans ce cadre, l’apprenant était généralement capable d’assembler seul les « pièces du puzzle » et parvenait à donner du sens à l’ensemble de ce qu’il avait appris. Cette stratégie semble aujourd’hui montrer ses limites et donne de plus en plus lieu à une approche par compétences qui sous-entend le développement d’un parcours privilégiant la continuité et la complémentarité entre les apprentissages. 

Cette seconde approche est fortement marquée par la pensée adéquationniste qui veut que l’école apprenne un métier et qui entend livrer aux employeurs des « produits finis ». Elle intègre les notions de professionnalisation et de développement personnel et tend à favoriser « l’élargissement et l’enrichissement des compétences et des tâches, la réduction de la ligne hiérarchique et le développement du caractère collectif du travail ».

Le fait que ces nouvelles compétences soient évaluées à travers la même grille que des matières plus académiques participe à la tendance haussière des évaluations.

Recrutement des étudiants internationaux

 

Face à la stagnation des effectifs d’étudiants nationaux, les organisations à mission éducative recrutent massivement des étudiants étrangers : « Entre 2000 et 2005, le nombre d’étudiants étrangers passe de 174 608 à 265 710 soit une augmentation de 52 %, par comparaison, le nombre d’étudiants étrangers était légèrement en baisse tout au long des années 1990, passant de 161 000 étudiants en 1990 à 149 000 en 1998. »

Il est donc possible d’identifier plusieurs facteurs qui tendent à expliquer le phénomène haussier des notes :

  • La massification a permis à des nouveaux profils qui n’avaient pas accès aux études supérieures de s’y investir avec leurs talents propres.
  • La surqualification d’une génération à pu influer sur le niveau de la génération suivante.
  • L’évolution des attentes à fait évoluer les connaissances/compétences valorisées.
  • Considérant l’évolution en volume des étudiants internationaux, et au regard des ressources nécessaires à cette mobilité (financières, sociales…) il est envisageable qu’il s’agisse d’étudiants de très bon niveau académique qui aient pu avoir une influence sur les statistiques globales.

Il reste cependant des interrogations sur l’évolution à la baisse du niveau de connaissance constaté lors de la scolarité primaire et secondaire qui se transforme en résultat à la hausse lors du passage dans l’enseignement supérieur.

Contrainte organisationnelle

La pratique du redoublement a considérablement diminué au cours des vingt dernières années. « La baisse concerne tous les niveaux et résulte d’une politique mise en œuvre dans toutes les académies. Cette politique a eu un effet positif sur la fluidité des parcours des élèves et leur réussite aux examens. » Si les spécialistes de l’aspect éducatif associent la réussite aux examens au fait qu’il y ait moins de redoublement, les autorités complètent cependant : « mais cette évolution profite davantage aux milieux favorisés ». Alors qu’en 1993, 46 % des élèves de troisième présentaient un retard scolaire d’un an ou plus, ils n’étaient que 24 % dans ce cas à la rentrée 2013. En particulier, moins de 2 % des élèves ont cumulé deux ans de retard, alors qu’ils étaient plus de 15 % il y a vingt ans. La fluidité des parcours est un terme qui peut également être interprété comme une optimisation de flux d’apprenants au regard des ressources humaines et matérielles disponibles. Une optimisation des notes des lycéens issus des milieux les moins favorisés pour leur permettre d’accéder à la formation supérieure apparait comme un corolaire de cet état de fait.

Dans une note de 2016 le principal syndicat du second degrés le SNES FSU mentionne : « La demande sociale très forte d'obtention du baccalauréat conduirait aussi à une indulgence excessive et à un abaissement des exigences lors de la correction des copies. "Beaucoup de correcteurs se plaignent de subir, lors des réunions de jury (entente, harmonisation, délibération...) des consignes et des pressions qui incitent à être trop indulgent avec les erreurs, les oublis, la mauvaise maîtrise des contenus et méthodes de la part des candidats. "

Mise en concurrence des acteurs de l’ESR

Les années 2000 se caractérisent par la stabilisation des effectifs d’étudiants. Dans ce contexte, attirer les étudiants devient un des principaux objectifs des établissements du supérieur. Un autre facteur potentiel de la montée de la concurrence entre les universités est la volonté d’augmenter leur attractivité internationale. La réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), amorcée en 2002, modifie l’ensemble du système d’enseignement supérieur français pour l’adapter aux standards européens. Dans le même temps, les Grandes Écoles françaises (Management et Ingénieur) adoptent les codes de la compétition internationale : accréditations, publications classements pour attirer les meilleurs enseignants et les meilleurs étudiants.

L’intégration d’une logique d’économie de marché au sein de l’ESR

Comme le théorise le Dr Musselin en 2008 dans son article « Vers un marché international de l’enseignement supérieur », les orientations stratégiques des établissements se trouvent confrontées à des scripts communs :

  • Une modification du rôle de l’État
  • Une transformation des universités en organisations
  • Accroissement du rôle des « parties prenantes »
  • Valorisation de la recherche « pertinente »
  • Un contexte de privatisation sous différentes formes des acteurs de l’ESR
  • Se placer dans une perspective mondiale. Pour appréhender ce nouveau paradigme, les établissements sont confrontés au besoin de nouvelles ressources financières. Ils vont mettre en place plusieurs stratégies : fondation, partenariats entreprises, développement alternance et formation continue…la principale finalité reste d’augmenter la taille des promotions pour bénéficier des ressources liées aux frais de scolarité.
  • Evolution des droits de scolarités à l’Université (pour simplifier de 170 € à 601 € pour la rentrée 2023) et instauration en 2018 de droits d’inscription différenciés pour les étudiants hors union européenne : le montant de ces droits s'élève à 2770€ par an en Licence et 3770€ par an en Master.
  • Pour les Grandes Écoles de Management, l’évolution des frais de scolarité est de 68 % en moyenne sur la période 2011-2023
  • Les frais de scolarité en Grande École d’Ingénieurs varient d’un facteur 18, allant de 601 € à plus de 10 000 €. Les écoles privées (de 3 050 € à 10 725 € l’année, soit 8 138 € en moyenne), peu subventionnées, sont bien plus chères que les écoles publiques, qui connaissent également de grandes disparités.

La rentrée 2022-2023 marque une nouvelle étape, pour la première fois depuis 2007 le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur est en baisse (-1.5) et l’évolution démographique permet d’anticiper cette tendance baissière pour les années à venir.

Besoin de financement en hausse, concurrence accrue, mobilité des acteurs, évolution dans les éléments évalués, tous ces éléments illustrent une augmentation du cout d’acquisition des parties prenantes, dans quelle mesure ces éléments de contexte ont – ou pas -une incidence sur les notes ?

Effet de schrinckflation des notes et loi de Campbell

La schrinckflation est un terme anglais qui caractérise une stratégie commerciale, malheureusement bien connu de nos jours, par laquelle une quantité de produit diminue dans un bien alors que le prix reste stable.

Appliqué à l’évaluation éducative, peut-on conclure que l’évolution des notes valide un niveau éducatif moindre ?

Face aux évolutions structurelles de l’écosystème que nous avons mis en avant, il semble que les notes délivrées aujourd’hui par l’enseignant apparaissent autant comme le sésame pour continuer ses études que comme évaluation de l’acquisition de connaissance. De plus, la demande sociale très forte d'obtention du baccalauréat conduirait aussi à une indulgence excessive et à un abaissement des exigences lors de la correction des copies. "Beaucoup de correcteurs se plaignent de subir, lors des réunions de jury (entente, harmonisation, délibération...) des consignes et des pressions qui incitent à être trop indulgent avec les erreurs, les oublis, la mauvaise maîtrise des contenus et méthodes de la part des candidats. »

En 1976, Campbell a écrit : « Les tests de réussite peuvent constituer de précieux indicateurs de la réussite scolaire dans des conditions d'enseignement normales axées sur la compétence générale. Mais lorsque les résultats des tests deviennent l'objectif du processus d'enseignement, ils perdent tous les deux leur valeur en tant qu'indicateurs du niveau éducatif et faussent le processus éducatif de manière indésirable.

Mesurer les progrès en utilisant des indicateurs quantitatifs et qualitatifs reste utile. Cependant, l'utilisation de données quantitatives à des fins d'évaluation qualitative peut fausser la démarche d'évaluation et ainsi biaiser la qualité des indicateurs et donc la mesure de la performance.