Manager, quelles compétences pour demain ?

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Manager, quelles compétences pour demain ?

1 juin 2022

Qui n’a pas senti que les grands mots et concepts de la transformation des entreprises – innovation, agilité, autonomie, responsabilité – butaient contre un management hiérarchique à l’ancienne ou d’éternelles luttes de pouvoir intestines ? Qui n’a pas ressenti que le titre de directeur n’était pas attribué par compétences managériales mais à des fins de promotion individuelle ?

Ces pratiques d’un autre âge, fortement ancrées dans la culture salariale française apparaissent aujourd’hui comme l’un des principaux freins au développement des entreprises. Comment les abolir ? Et quelles sont les nouvelles compétences du manager de demain ? Pour éclairer ce sujet, nous avons rencontré Richard Collin. Enseignant et conférencier expert en management, il est également Président de l'association Les Transitionneurs. Interview.

À quel enjeu fait face aujourd’hui le dirigeant d’entreprise ?

«Un leader aujourd’hui doit avant tout faire en sorte que chacun dans l’entreprise se connecte à l’autre. C’est un ingénieur en lien social. C’est celui qui introduit la confiance»

Richard Collin. Dans ce moment particulier de l’histoire, fait de renversements et de ruptures, il doit se montrer capable d’agir dans un monde incertain et donc faire preuve, en permanence, d’agilité. Le dirigeant, le manager, comme l’ensemble des collaborateurs, sont appelés à devenir des entrepreneurs de transition, mais aussi des cultivateurs de confiance, des cueilleurs de compétences.

C’est à dire ?

R.C. Ils doivent, comme des bricoleurs, aller chercher des compétences d’ici, de là, pour résoudre des problèmes. Mais ils doivent aussi faire appel à d’autres compétences qui dépassent celles de leur métier et de leur expertise, ce qu’on appelle les « softs-skills ». Le manager de demain doit être créatif, autonome, empathique et respectueux des autres. Il doit posséder une autre qualité essentielle : le leadership de lui-même.

Mission impossible en France ?

R.C. Les entreprises font face à un grand défi culturel et la culture française nous dessert. Le mythe napoléonien, avec ce qu’il implique de dimension hiérarchique et individuelle, est encore bien ancré dans les esprits. Le manager, c’est le sauveur, le chef qui conduit ses troupes sur le pont d’Arcole. Or, un leader aujourd’hui doit avant tout faire en sorte que chacun dans l’entreprise se connecte à l’autre. C’est un ingénieur en lien social. C’est celui qui introduit la confiance, ce qui est difficile également dans notre société de la défiance. On passe du directif à ce qu’on appelle le  "servant leadership". Le manager se met au service des autres et de l’organisation. Dans ce contexte, le manager devient un jardinier de talents pour l’ensemble de l’entreprise et non seulement pour sa mission, ses équipes. Il doit servir le collectif. Or ce qui est la règle initiale dans l’organisation et que nos systèmes de formation ont institutionnalisé, c’est la compétition individuelle. Pour beaucoup encore, c’est la loi de la jungle. Or elle est antinomique des logiques biologiques qui nous rappellent que l’entraide est la seule et vraie loi de la jungle.

Comment articuler intérêt collectif et intérêt individuel ?

R.C. Les dispositifs collectifs doivent être renforcés au sein des entreprises. Ce n’est pas dans ses gènes, mais cela vient. Certaines mettent en place des rémunérations collectives. Avec ce système, il n’y a plus de chef, ce sont mes pairs qui sont mes managers. La conséquence, c’est le renforcement de la responsabilité et de la compréhension du point de vue des dirigeants. A cela s’ajoute le partage de l’information et de la connaissance. Les anglo-saxons avaient coutume de dire "knowledge is power". Aujourd’hui, c’est "knowledge sharing is power". Avec mes étudiants, il m’est arrivé, pour ma part, de donner le nombre de points totaux à une équipe. A elle, de faire le partage en privilégiant si besoin ceux qui se sont davantage investis.

Les managers sont-ils prêts à ces évolutions ?

R.C. J’ai eu l’occasion d’animer le Comex de Renault ou encore celui d’Auchan et je vois bien qu’il existe souvent un problème de compréhension. On parle de transformation, de transition, de digital. Il y a un nouveau vocabulaire mais pas d’incarnation. Une des compétences importantes du manager de demain est aussi d’incarner la transformation de l’entreprise. Il faut qu’il soit dans l’explicite quand la culture managériale française a toujours fait une grande place à l’implicite. L’explicite permet d’éviter les jeux politiques, les jeux subtils du pouvoir, tout ce que j’appelle la géopolitique interne de l’organisation. On assiste trop souvent à des injonctions paradoxales de dirigeants qui ne donnent pas l’exemple. Ou à des organisations qui dictent une attitude mais adoptent des systèmes de mesure et d’évaluation contraires. Le changement demande une approche systémique, holistique.

La formation est-elle une réponse ?

R.C. Les ruptures sont brutales, les changements rapides, mais les humains sont le facteur lent. Il existe donc un problème de rythme d’adaptation. Il faut donner aux salariés la capacité de se développer, de comprendre, de travailler ensemble sur un temps long. Deux jours de formation sur le leadership ou la transformation managériale ne vont rien donner. Nous sommes sur de l’humain, un sujet complexe. Notre culture rationnelle sait bien gérer le compliqué mais pas le complexe. C’est l’une des grandes difficultés du manager d’aujourd’hui : la logique de l’ingénieur français favorise un rationalisme qui n’est pas adapté à ce monde.

Les écoles de management ont-elles fait évoluer leur pédagogie en conséquence ?

R.C. Oui, l’EM Lyon business school, par exemple, ne s’appelle plus "école de management" mais Early makers. Signe des temps, elle forme dorénavant ses étudiants à faire en développant des capacités d’entrepreneuriat. Nous sommes en train d’inventer de nouveaux modèles où chacun est acteur de la transformation en cours.

Comment, in fine, faire évoluer l’entreprise ?

R .C. Nous ne sommes pas dans la révolution du grand soir mais dans une série de petits matins qui demande forcément du temps. On note plusieurs étapes. Il y a un temps d’explication et de compréhension des enjeux qui passe aussi par l’appropriation du numérique, un outil permettant de faire, agir, collaborer, travailler, partager, gagner du temps. Il faut ensuite identifier, au sein de l’entreprise, des ambassadeurs de la transformation. Et les accompagner. Ces acteurs du changement ne sont pas en effet toujours dans les bons modèles de pensée. Il faut faire attention également aux clichés : les introvertis s’avèrent parfois plus efficaces que les grandes gueules. Mais il n’y a plus de méthode universelle. Le mot clef pour trouver la solution, c’est de co-construire et de laisser à chacun le droit à l’erreur.